En préambule à la Journée de la Femme Dominique Bru, comédienne toulousaine, a fait revivre la dernière nuit de la féministe Olympe de Gouges à travers « La parole décapitée » un spectacle théâtral fruit de la collaboration de quatre femmes…
Pendant une bonne heure, outre la performance de l’artiste, seule sur scène, en costume d’époque et baignée d’un environnement son et lumière, le caractère impétueux, aventurier, intègre et audacieux d’Olympe de Gouges a subjugué les spectateurs.
A peine sortie du spectacle j’ai voulu en savoir plus sur ce personnage de la Révolution française, redécouverte à la fin du XXe siècle par divers mouvements féministes.
Elle a eu, comme la philosophe et astronome Hypathie dans l'Alexandrie du IVe siècle, le tort d'être une personnalité hors normes, d'avoir une tête trop bien faite pour son temps et d'être en avance de quelques siècles…
Née en mai 1748 dans un ménage modeste de Montauban sous le nom de Marie Gouzes, elle est sans doute la fille illégitime du Marquis de Pompignan. Mariée contre son gré à 17 ans avec Pierre Aubry, un boucher argenté, mère l’année suivante et quelques mois après veuve, elle se met en ménage avec un entrepreneur qui l’emmène à Paris. Pas question de l’épouser puisque comme elle l'écrira plus tard : « Le mariage est le tombeau de la confiance et de l'amour. »
Elle a 20 ans quand elle entame une nouvelle vie, fortunée et libre de toute contrainte Son ambition d‘autodidacte est de devenir une femme de lettres (elle qui, élevée dans la langue occitane, maîtrise encore mal le français) et de rendre célèbre le nom qu’elle s’est choisi : Olympe , le prénom de sa mère , Gouges pour la consonance, la particule comme allusion à sa filiation . Elle va donc fréquenter assidûment les écrivains et intellectuels qui gravitent autour du duc d'Orléans en cette fin de règne de Louis XV.
Quand Olympe de Gouges arrive à la trentaine, elle s'offre divers amants dont l'écrivain François Sébastien Mercier, et commence à publier des textes le plus souvent écrits sous sa dictée par l’un ou l’autre de ses secrétaires. Elle n’est encore considérée, au mieux, que comme une courtisane et l'écrivain Restif de la Bretonne la classe dans sa liste des prostituées de Paris.
Venue du XVIII°, une chanson...
En 1785, elle publie pour le Théâtre-Français une pièce de théâtre, violente dénonciation de l'esclavage des Noirs : « Zamore et Mirza ou l'heureux naufrage » Le thème est tabou, et en critiquant le Code Noir alors en vigueur, Olympe de Gouges ose aborder de manière frontale les problèmes du colonialisme et du racisme. Lors de la première, la bataille d'idées vire au pugilat et le maire de Paris, fait interdire la pièce. En 1786, elle écrit aussi une suite au Mariage de Figaro de Beaumarchais dans laquelle elle dénonce le mariage forcé des filles et plaide pour l'émancipation féminine. En décembre 1788 comprenant l'importance de la presse dans l'opinion publique, elle publie dans le Journal Général de la France, ses « Remarques patriotiques », un programme de réformes sociales qui imagine une assistance sociale, des centres de soins et d'accueil pour les veuves, les vieillards et les orphelins, des ateliers d'Etat pour les ouvriers sans travail et un impôt, sorte d'ISF avant l'heure, sur les signes extérieurs de richesse (nombre de domestiques, de propriétés, d'œuvres d'art...).
Mobilisation des femmes (Caisses solidaires, Clubs de réflexion, Marches revendicatives)
Quand survient la Révolution française, en 1789, Olympe de Gouges, déjà quadragénaire, redouble d'activité et multiplie brochures dans lesquels elle réclame avant toute chose l'égalité des droits entre tous les citoyens sans distinction de sexe, de couleur ou de revenu. Elle plaide aussi pour le droit au divorce. La même année elle adresse une « Lettre aux représentants de la nation » pour défendre sa liberté de penser: « Les uns veulent que je sois aristocrate ; les aristocrates, que je sois démocrate. Je me trouve réduite, comme ce pauvre agonisant à qui un prêtre demandait, à son dernier soupir : "Etes-vous moliniste ou janséniste ?" "Hélas, répond le pauvre moribond, je suis ébéniste." Comme lui, je ne connais aucun parti. Le seul qui m'intéresse vivement est celui de ma patrie, celui de la France... » En 1791 Olympe de Gouges brave la bienséance révolutionnaire en publiant une réplique de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen sous l'intitulé : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne avec une dédicace à la reine Marie-Antoinette, où l'on peut lire « La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. » Elle y revendique pour les femmes le droit de vote et le droit d’entrer dans la sphère politique: « La femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune » (article 10). Dans un même temps elle dénonce la peine de mort et le peu d’avancées révolutionnaires pour les femmes : « O femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé ».
Les combats d'Olympe de Gouges au XVIIIe siècle ne font qu'anticiper tous ceux qui ont agité le XXe et continué d'enflammer ce début de XXIe : lutte contre la tyrannie et pour la justice sociale, combat contre la peine de mort, égalité hommes-femmes. « Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de vous en affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir. » Lors du procès de Louis XVI prenant la suite de Malesherbes elle devient de façon officieuse, l’avocate du roi: « Je crois Louis fautif comme roi, mais dépouillé de ce titre proscrit, il cesse d’être coupable aux yeux de la République...Sans la perversité de la Cour, il eut été peut-être un roi vertueux. Il suffit de se rappeler qu’il détesta les Grands, qu’il sut les forcer à payer leurs dettes et qu’il fut le seul de nos tyrans qui n’eut point de courtisane…Il ne suffit pas de faire tomber la tête d’un roi pour le tuer, il vit longtemps encore après sa mort, mais il est mort véritablement quand il survit à sa chute »
Hostile à la Terreur et proche des Girondins, elle fera coller dans Paris d'une affiche signée Polyme, l'anagramme d'Olympe, conspuant Robespierre, l'artisan de la Terreur, en des termes inadmissibles pour l'« ami du peuple » - « Tu te dis l'unique auteur de la Révolution, Robespierre ! Tu n'en fus, tu n'en es, tu n'en seras éternellement que l'opprobre et l'exécration... Chacun de tes cheveux porte un crime... Que veux-tu ? Que prétends-tu ? De qui veux-tu te venger ? De quel sang as-tu soif encore ? De celui du peuple ? » . Consciente du danger qu’elle court elle fait alors non sans humour, son testament politique : « Je lègue mon cœur à la patrie, ma probité aux hommes (ils en ont besoin), mon âme aux femmes, je ne leur fais pas un don indifférent ; mon génie créateur aux auteurs dramatiques : il ne leur sera pas inutile; mon désintéressement aux ambitieux ; ma philosophie aux persécutés ; mon esprit aux fanatiques ; ma religion aux athées ; ma gaieté franche aux femmes sur le retour, et tous les pauvres débris qui me restent d’une fortune honnête à mon héritier naturel, à mon fils, s’il me survit ».
Elle fait imprimer, le 20 juillet 1793, une affiche bordée de rouge intitulée « Les trois urnes ou le salut de la patrie », où elle ne demande le droit au référendum des Français sur leur futur gouvernement. A charge pour les citoyens de préférer la monarchie, le fédéralisme ou la République. Accusée de remettre en cause le principe républicain, la Girondine est inculpée par le Tribunal révolutionnaire le 2 novembre et arrêtée sur ordre de l’Incorruptible, ulcéré par ces terribles paroles : « Toi, Robespierre, désintéressé, toi, philosophe, toi, ami de tes concitoyens, de l’ordre et de la paix. Tu oses le dire ? Ah ! si cela est, malheur à nous ! Car quand un méchant fait le bien, il prépare de grands maux : et j’ai bien peur que cette ritournelle de ton ambition ne nous donne bientôt une musique lugubre... » L'accusateur Fouquier-Tinville plaide « l'attentat à la souveraineté du peuple » La condamnation à mort est prononcée bien qu’Olympe ai fait part d’une grossesse.
Dans sa cellule la condamnée écrit une dernière lettre à son fils l’assurant de son amour de mère en même temps qu’elle dénonce en connaissance de cause l’injustice et l’illégalité dans lesquelles opèrent les Montagnards et réaffirme son attachement à la République. Au matin suivant, le 3 novembre, la veuve Aubry est guillotinée. Le bourreau Sanson témoigne de ses derniers instants : « Les apprêts terminés elle monta courageusement dans la fatale charrette…Arrivée au pied de l’échafaud elle dit : « Ils vont être contents, ils auront détruit l’arbre et la branche ! » Puis en montant les marches, elle regarda le peuple et s’écria : ‘Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort ! » . La semaine suivante, un commentaire paru dans le Moniteur Universel, journal de propagande montagnarde, montre l'étendue de son crime : « Elle voulut être homme d'Etat. Il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d'avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe. »
Chanson des sans Culottes
Deux cent vingt ans après son exécution Olympe de Gouges , dont l’historien Michelet disait qu’elle était « folle », est pressentie pour entrer au Panthéon mais ce seront deux grandes figures de la Résistance , Germaine Tillion, et Geneviève de Gaulle-Anthonioz qui, en 2015, rejoindront la physicienne Marie Curie ( entrée au Panthéon en 1995 ) et Sophie Berthelot ( panthéonisée en 1907 en qualité d’épouse du physicien Marcellin Berthelot !). Le Panthéon, sur les 71 « Grands Hommes » qui y reposent, pourrait accueillir plus de quatre femmes pour leur mérite et leur contribution à l’Histoire de France. De grandes personnalités féminines françaises telles Olympe de Gouges, pionnière du féminisme, y auraient toute leur place.
La figure féministe d'Olympe de Gouges
Bibliographie :
« Olympe de Gouges, la révolte d’une femme », Simon Guibert
« Olympe de Gouges : ‟Non à la discrimination des femmes” », Elsa Solal
« Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle »,Olivier Blanc
« Ainsi soit Olympe de Gouges », Benoîte Groult, Grasset.
« Olympe de Gouges », Catel & Bocquet, Casterman Ecritures.