Parmi les charmes du Val d’Aran il y a , gravés dans ma mémoire et renouvelés à chaque ballade, l’élégante silhouette des clochers dont les aiguilles pointues se dressent vers le ciel. Plus d’une trentaine s’égrainent le long de la vallée ou partent à l’assaut des versants les plus proches.La nuit tombée , illuminés , ils accrochent le regard au cœur du village. Le Val semble alors s’orner de guirlandes.
Immuables depuis des siècles ils sont la fierté des aranais : « Es amb goig que mirem els campanars aixecar-se orgullosos al bell mig dels nostres pobles . Són el référent paisagístic i visual…i amb el seu penetrant so ens il.luminen »( « C’est avec bonheur que nous voyons nos clochers se dresser avec orgueil au milieu de nos villages. Ils en sont le référent paysager et visuel…avec leurs cloches au son profond ils nous illuminent » Carlos Barrera, Síndic d’Aran). Cet été, outre un safari photo spécial clochers, je me suis proposée de découvrir leur histoire.
Tout a commencé il y a des siècles, avant même les Guerres de Religion du XVI°, les pillages du XVII°, les émeutes des Segadors au XVIII°, la guerre de Succession opposant Carlistes et Isabellins au XIX° jusqu’à la tragique invasion tentée par le Maquis en 1944.
Dans le Haut Moyen-Age les maigres populations du Val se regroupaient en hameaux blottis contre une petite église, elle-même adossée à une tour de gué ou de défense qui tenait lieu de clocher. Toujours fortifiée, carrée ou rectangulaire, souvent protégée par des fossés, véritable donjon du potentat local, la tour-clocher à large assise pouvait aussi servir de refuge aux villageois en cas de guerres et de réserve communale en grain et huile. Tout un enchevêtrement de poutres et échelles, visible encore chez certaines, permettait d’accéder aux niveaux supérieurs et en particulier aux cloches dont le rôle était essentiel en cas d’alarme.
En quelques minutes, de clocher en clocher, sur plus de vingt kilomètres, toute la vallée savait d’où venait le danger et quelle était sa nature grâce à des codes sonores bien différents des tocsins, glas, angélus, vêpres ou matines qui rythmaient la vie de tout un chacun.
La construction des églises aranaises s’étale sur 4 périodes comme en témoigne l’architecture de leurs clochers , voûtes, nefs , ouvertures et motifs ornementaux :
- Tours lombardes des XI° et XII° siècles à Tredòs, Bossost, Vilamos, Begòs auxquelles se sont appuyées au XIII° les églises romanes.
- Clochers gothiques couronnés d’aiguilles du XIII° et XIV° à, Artiès, Salardú ,Vilac, Vielha, Gausac, rajoutés aux églises préexistantes et qui gardaient leur fonction défensive.
- Clochers des XVI°-XVII° carrés ou rectangulaires, toujours défensifs à Escuhau,Casau,Garròs. Leur modèle se trouve à Betren. Ce sont des tours quadrangulaires aux murs de granit recouverts de mortier surmontés d’un pinacle octogonal d’ardoises. Ces clochers sont percés de doubles fenêtres éclairant la « chambre » des cloches.
- Tours octogonales, hautes et graciles du XVIII° , bâties sur les modèles de Salardú et Vielha à Arties, Bagergue, Unha.
Les historiens hésitent encore à se prononcer sur l’origine du gothique aranais. Est-ce un apport venu de France à partir de la moitié du XIII° siècle ou une influence castillano-aragonaise arrivée un siècle plus tard? En étudiant de près les édifices il semble que l’on se trouve en présence de deux écoles de maîtres maçons-architectes-sculpteurs, l’une dénommée de « Salardú- Vilac », l’autre de «Artiés- Betren- Vielha ». Quoiqu’il en soit la maison royale d’Aragon a pris soin de manifester son intérêt pour les églises les plus emblématiques et stratégiques du Val d’Aran :
- La clocher de Salardú (Sant Andèu), haut de 37m, considéré comme pièce-maîtresse défensive porte les armes du roi Jaume II d’Aragon sur sa porte d’entrée. Au XVI° cette tour s’illustrera en résistant vaillamment aux attaques des troupes d’Aimeric de Narbonne, vicomte de St Girons.
- Vielha (Sant Miquèu) doit son clocher à un privilège concédé par le roi Ferran d’Aragon (Ferdinand le Catholique) qui « concedé llicencia als consóls de la Vila per construir un campanar i dos ponts, l’un sobre el Garona, l’altre sobre el Nera, arrandant taverna i posant impostos sobre’l pa, vi, olí i carn fins que fossin fetes les dites obres »( le roi « autorisa les consuls de la ville à construire un clocher et deux ponts, l’un sur la Garonne, l’autre sur le Néré en prélevant un impôt sur le pain, le vin, l’huile et les viandes jusqu’à l’achèvement des ouvrages » ( Archives de Monzón du 25 juillet 1515). Ici aussi la tour primitive était défensive et assurait une meilleure protection à l’église forteresse et son fossé. Au XVIII° deux ouvertures gothiques furent éventrées pour rajouter aux cloches existantes deux pièces majeures « La Miqueleta » et « La Francisca » qui carillonnent aujourd’hui encore.
A quelques encablures le clocher de Gausac (Sant Martí) répète le modèle de Sant Miquèu avec ses trois étages octogonaux surmontés d’un pinacle pointu. Là aussi la fonction défensive est évidente comme le montrent ses meurtrières percées sur la base quadrangulaire de la tour et sur les deux étages suivants.
- Vilac (Sant Fèlix) qui était jusqu'en 1350 résidence de l’archiprêtre d’Aran dépendant du diocèse de St Girons, s’est vu doté pour son clocher-donjon de 5 cloches et de finitions au goût français très accusé (ouvertures, chapiteaux, colonnettes).
Altiers, les clochers de Casau (Sant Andrès) et Garròs (Sant Julià) peuvent être considérés comme deux sentinelles surveillant et contrôlant la vallée de Mijaran pour l’un et de Naut Aran pour l’autre. La tour de Garròs, carrée, large de 9m, culmine à 31 m et compte 5 niveaux. Le dernier de 7mx7m abrite la « chambre » des cloches et au 4° se trouve encore une petite pièce servant de latrines aux soldats du gué.
Sur les 33 clochers du Val d’Aran, 24 ont des horloges murales mécaniques. Dès le XV° siècle la Catalogne se signale par les réalisations de ses artisanats horlogers qui équipent les clochers des paroisses riches puis des plus humbles, généralisant ainsi leur technologie. Le Val d’Aran suivra deux siècles plus tard avec ses propres horloges. En général le mécanisme était installé sous la « chambre » des cloches. Protégé par un caisson fermé à clef seule une main autorisée pouvait l’atteindre pour régler heure et fréquence du carillon.
Clochers et horloges de Vielha et Artiés
Les clochers du Val surmontés de leur pinacle contribuent à l’esthétique du paysage aranais. Certes les vallées voisines en territoire français ou catalan offrent aussi ce type d’architecture, mais proportionnellement en moins grand nombre car devenus désuets. Les tours-clochers surmontés d’aiguilles ont fait leurs preuves au cours des siècles en étant tour à tour éléments de surveillance et défense, symboles de pouvoir et objet d’orgueil. Chacun a son caractère propre, ses blessures et enjolivures dont je ne me lasse pas .