Après avoir essayé de percer quelques secrets des 33 clochers du Val d’Aran, j’ai voulu en savoir plus sur leurs cloches qui continuent d’égrener heures et temps de prière…
La cloche est un des instruments du musique les plus anciens faits par l’homme. Elle apparaît il y a trois ou quatre millénaires et s’étend de la Chine au Moyen Orient , puis passe par l’Egypte, se signale en Grèce et triomphe à Rome…Son nom d’origine latine « campana » viendrait de la région de Campanie en Italie célèbre pour la fabrication d’objets en métaux divers dont le bronze.
Au V° siècle, l’évêque italien saint Pauli introduisit son usage pour annoncer les actes liturgiques. A la fin du VI° les cloches tintaient et sonnaient de par le monde christianisé en Italie, France, Espagne, Allemagne, Irlande. Aux VII° et VIII° les cloches furent installées dans des tours circulaires prévues à cet effet. Au IX° dans toute l’Europe, églises, chapelles et ermitages en sont pourvues et peu à peu leur forme s’uniformise jusqu’à être celle que nous connaissons de nos jours.
Le processus de fabrication des cloches est resté immuable durant des siècles. Sans doute d’origine germanique il remonte aux techniques de fonte du bronze connues depuis l’Antiquité. L’alliage cuivre-étain est coulé au creux d’un double moule emprisonné dans une gangue de boue. L’ensemble est enterré jusqu’à refroidissement complet. Cette technique « in situ » suppose l’existence d’ateliers de fondeurs itinérants se déplaçant en fonction des commandes.
En 2012, à Vilac , nous avons assisté à la « naissance » d’une nouvelle cloche après un « refroidissement » sous terre de trois semaines. Excavatrice, pelles, treuil, équipe de fondeurs, curé, maire, notables, villageois, badauds, nous étions tous là pour la voir extraire du sol et apparaître débarrassée de sa gangue, parfaite, joliment galbée, décorée et déjà luisante. Moment émouvant car unique dans une vie…
Toutes les cloches consacrées et bénites portent traditionnellement une invocation à Dieu, à la Vierge ou aux saints :
« Te Deum laudamus » nous te louons Seigneur
« Ave Maria, gratia plena » salut Marie pleine de grâce
« Christus vincit, Christus regnat, Christus ab omni malo nos defendat » Christ vainqueur, Christ roi, Christ nous protège de tout mal.
Cloches gothiques avec ornementation et / ou invocation (Tredòs et Vilac)
Les cloches du Val d’Aran témoignent par leurs inscriptions ou gravures d’une dévotion particulière à Ste Barbara (protectrice des intempéries), à St Sernin (martyr à Toulouse), à St Pierre, St Etienne et l’archange St Michel (protecteur du Val). A partir du XVII° la représentation du Calvaire se généralise sur beaucoup de cloches sous l’influence de la mystique et esthétique baroques. Au XIX° siècle les cloches fondues au Val d’Aran portent gravés dans un encadré le nom du curé de la paroisse, celui des fondeurs et l’année de la réalisation.
Les cloches consacrées sont l’objet d’un rite qui en premier lieu les écarte d’un usage profane, puis les sanctifie par onction d’huile faisant d’elles un trait d’union entre le ciel et la terre et enfin leur donne un nom (Miguela, Francisca, Juliana, Maria …).
Le glissement des sociétés médiévales, rythmées par les temps religieux, vers les sociétés modernes a amené un recul de la mission liturgique des cloches et induit leur utilisation profane . Pouvoir spirituel et temporel se sont alors partagé la même tour clocher, cette dernière devenant au fil du temps propriété de la commune. On peut encore voir au Val d’Aran, deux accès possibles à la tour, donc à la chambre des cloches et au mécanisme de l’horloge murale sonnant l’heure. L’un à l’intérieur de l’église (petite porte dérobée souvent au niveau de la tribune ou dessous) lorsque le clocher faisait partie du corps de l’église et l’autre à l’extérieur lorsque le clocher était postérieur à l’église
Betlan (accès externe ) et Vilac (accès interne au niveau de la première tribune)
Toute une étude est consacrée à l’usage des cloches et carillons dans l’ouvrage « Campanaus e campanes dera Val d’Aran » (Clochers et cloches du Val d’Aran) de Daniel Vilarrubias i Cuadras (2013 Conselh Generau d’Aran).
Intriguée par l’installation permettant la double fonction religieuse et civile des cloches au sein d’un même clocher je me suis rendue à Vilac, Escuhau et Garòs pour prendre quelques photos d’une ingénierie vieille de plusieurs siècles.
Mécanisme des horloges murales de'Escunhau, Vilac et Garòs
A Vilac j’ai pu voir dans leur salle à mi clocher les 5 cloches qui rythment spirituellement et temporellement la vie de ce coin de vallée et j’ai photographié le mécanisme d’horlogerie datant du début XVIII° siècle. Je suis restée médusée devant un système complexe de roues crantées mises en mouvement par 3 contrepoids en pierre pendus à des cordes . Ces contrepoids déroulaient leurs cordes à partir de grosses bobine en bois. Re-embobinées manuellement elles assuraient une autonomie d’une vingtaine d’heures au mécanisme de l’horloge murale( on dit en espagnol comme en catalan pour « remonter » une horloge mécanique «dar cuerda al reloj » ou « donar corda al rellotge »expression prise dans le sens littéral de « donner de la corde » !). Aujourd’hui une installation électronique a rendu obsolète l’ensemble.
Chambre des cloches à Vilac (escalier d'accès et mécanismes d'horloge et carillon)
Dans cette même salle des cloches se trouve encore un clavier manuel que le carillonneur actionnait pour annoncer à toute volée des évènements notables. La aussi l’électronique a triomphé. La plus vieille des 5 cloches sonne depuis le XIV ° siècle et les aranais se plaisent à imaginer qu’elle a participé au carillon annonçant la reconnaissance de la première charte du Val d’Aran « La Queremònia ». Comme beaucoup de ses consœurs son usage à la fois civil et religieux lui a évité d’être fondue pour la confection de canons et armes à feu en période de guerre.
Les clochers du Val se sont enrichis tout au long des siècles du savoir-faire des fondeurs aranais, catalans ou français et s’enorgueillissent des différents sons, ornements et taille de cloches gothiques, baroques ou de l’ère industrielle.
Il s’agit bien là d’un patrimoine culturel qui au fur et à mesure de mon safari- photo a décliné ses nombreuses facettes et redessiné un chemin de découvertes émaillé de témoignages romans à partager « sans modération » !
Casarilh, Escunhau, Artiès, Garòs, Vilac, Unha......