Deux M majuscules en saison estivale

Au cœur de l’automne il est temps d’évoquer les deux excursions de l’été qui m’ont permis de mesurer l’esthétique de deux monuments de l’art roman dans notre région : la cathédrale de Maguelone et l’Abbaye de Moissac.La première  non loin de  Montpellier, est sise sur la presqu’ile lagunaire dont elle porte le nom Maguelone. La seconde  ,Moissac, baignée par le Tarn,  reste une étape majeure sur la route de St Jacques au pied des coteaux du Quercy.

J'avais toujours entendu parler de Maguelone qui, dans mon imaginaire, restait cousine d’ Aigues-Mortes sans doute parce qu'elles évoquaient une grandeur passée . Pour m’y rendre  le voyage en bus m’a fait longer la côte méditerranéenne au littoral aménagé à des fins touristiques  comme Palavas-les-flots . En bout de trajet nous sommes engagés sur une route étroite et poussiéreuse bordée d’étangs qui traversait un  paysage plat, et dénudé léché par des eaux calmes. De ci de là quelques flamants et canards et dans le lointain un monticule boisé qui laissait deviner une bâtisse n’ayant rien d’une cathédrale.

Durant l'Antiquité Maguelone n'était pas une presqu’île mais une île  fréquentée par les humains depuis  le néolithique neuf siècles avant Jésus-Christ …Au début de la période romaine au I° siècle après Jésus-Christ, l’île connait un grand élan démographique et économique  lié à son activité portuaire . Elle sera très prospère jusqu’au VII° d'où l’implantation d’un évêché dans le sillage de celui de Narbonne. Suivra une période de déclin du VII° au XI° siècle due à l’insécurité en mer comme sur terre. Tel un phœnix Maguelone renait au XII° et est à son apogée jusqu’au XIV°. A l’instar de Vérone elle a sa légende, celle de »La belle Maguelone »fille du roi de Naples séparée des son amant Pierre de Provence.

Des dizaines de milliers de fragments d'amphores et poteries ont permis d'évaluer l'activité de Maguelone au cours des siècles dans le cadre des échanges commerciaux en Méditerranée attestés par les les nombreuses monnaies retrouvées sur place. S’ajoutent des mortiers africains, marmites et amphores de Méditerranée orientale, de Ligurie , du Levant hispanique , ainsi que des jattes d’Italie méridionale, des amphores de la Gaule du sud  et de la verrerie produite sur l’ile dès le VI° siècle !

 A la descente du bus ce sont des vignes qui nous accueillent et il nous faut parcourir une centaine de mètres pour découvrir la cathédrale, un bâtiment de pierre haut et massif relevant d'une architecture militaire. Les murs épais du chevet aux ouvertures étroites, impressionnent par leur puissance, une tour carrée percée de meurtrières souligne le caractère défensif de l’édifice. Tout le bâti témoigne d’une construction faite pour défier le temps avec ses pierres taillées revêtues d’un parement minéral résistant aux embruns de la mer.

La première édification au XIe siècle se serait faite sur les restes d'une basilique paléochrétienne du VIe siècle. Des fouilles archéologiques récentes ont conforté les travaux de  Frédéric Fabrege qui  dès la fin du XIX° siècle l’avait répertoriée comme basilique funéraire . La découverte en 1999 de plus de 200 tombes contenant de nombreux objets témoigne d’un  métissage culturel essentiellement  franc et wisigothique.

La destruction de l'ensemble pourrait être lié à l'invasion arabe du littoral en 725 suivie de la reprise des lieux par les troupes de Charles Martel en 738. Selon une tradition historiographique du XVIII° l’église romane dédiée aux apôtres Pierre et Paul aurait été consacrée en 1054 en présence de nombreux évêques sa reconstruction ayant reposé sur une bulle du pape Jean XIX accordant indulgence aux donateurs .

L'entrée principale de la cathédrale se trouve sur la façade occidentale encadrée par deux puissants contreforts très élevés dont l’un dépourvu de parement minéral livre au regard ses pierres rongées par les intempéries. Le portail du XIIIe siècle est orné de part et d'autres en partie basse par deux bas reliefs représentant Saint-Pierre et Saint-Paul . Je contemple leur portée symbolique, les clefs du Paradis, les Evangiles, l’Epée conquérante, les Epîtres…

Le linteau est taillé dans une borne militaire romaine récupérée à cet usage et le tympan en marbre blanc représente le Christ en Majesté . Il bénit les visiteurs entouré des symboles des évangélistes : l’ange pour Saint Matthieu , l’aigle pour SaintJean ,le Lion pour Saint-Marc et le bœuf pour Saint-Luc.

Le seuil franchi après être passé sous une voûte basse le regard se perd dans l’impressionnant volume d'une nef majestueuse dépouillée de tout ornement et remarquable par la perfection des proportions de l’abside. Deux chapelles latérales prolongent le volume. Point d’orgue à cette architecture le caractère monumental de la tribune maçonnée à l'étage et éclairée par des  baies axiales décorées de fines colonnettes.

Le sol de la cathédrale est en terre battue car il ne reste rien du riche dallage qui le recouvrait. A même le sol sont posés quatre magnifiques gisants d’évêques et un sarcophage autrefois utilisé comme abreuvoir …L’ensemble témoigne des vicissitudes subies par le monument vendu comme bien national à la révolution française. Tour à tour gisement de pierres taillées entrepôt, étable, la cathédrale n'est qu'une ruine à la fin du XIXe siècle . Dans « Les villes mortes du golfe de Lyon » (1876 ) de Charles Lenthéric, on peut lire : « la première de ces villes mortes est Maguelone , une cathédrale ruinée, une ferme , un désert , voilà tout ce qu'il reste aujourd'hui d'une ville autrefois florissante …tout a été détruit à l'exception de la grande neuf qu'une modeste restauration vient de préserver de la ruine complète ».Cette « modeste restauration » du site classé monument historique en 1840 est celle de la famille Fabrège propriétaire des lieux qui a entrepris de restaurer le monument et réhabiliter les terres attenantes en y plantant des vignes. Frédéric Fabrège homme de grande érudition, archéologue et historien, entreprend des fouilles en 1861. II se documente, répertorie, réhabilite, tant et si bien qu'en 1875 la cathédrale est rendue au culte par l'évêque de Montpellier.

Tout en traversant le parc paysager qui entoure l’édifice notre guide  explique que le domaine de Maguelone  est resté propriété de la famille Fabrege jusqu'à 1949 année où son héritière le lègue à l'évêché de Montpellier avec obligation d'y implanter une œuvre sociale. Depuis 1969 l'Association Compagnons de Maguelone prend en charge cette mission avec trois volets dont l’un de réinsertion et hébergement, l’autre de mission patrimoniale et un dernier culturel qui se traduit traduit par les visites du site et l'organisation de séminaires et récitals de musique.

Les yeux encore pleins de voûtes, ogives, contreforts nous partons vers Lattes à quelques kilomètres de la presqu’ile pour découvrir son musée consacré à la Septimanie . Voyage dans le temps garanti !

Bibliographie :

Monographie "Maguelone de l'Antiquité à nos jours" Ed. Les Compagnons de Maguelone (2019)

Livret "Petit journal de l'Exposition Septimanie" Musée Henri Prades (Lattes)

Photos personnelles