Il y a quelques semaines grâce à l’Association « Les Toulousains de Toulouse » j’ai eu l’occasion de visiter un musée dont j’ignorais jusqu’à l’existence : le Musée du Compagnonnage sis dans le vieux Toulouse, rue Tripière. Un vrai bonheur pour m’y rendre que de déambuler dans les vieilles rues toulousaines aux noms évocateurs d’un passé lointain en phase avec la vieille histoire des Compagnons détenteurs d’un savoir faire ouvrier inégalé. J’ai donc flâné rue des Changes, Jouxt Aigues, Malcousinat, Bedelières, Puits Clos, le nez levé à l’affut du moindre corondage…A ma grande satisfaction une de ces vénérables maisons abrite le Musée du Compagnonnage. Sa façade s’orne d’un insert en bois ouvragé abritant le portrait d’un inconnu. A l’issue de ma visite je devrais en savoir plus…
Ma visite commence par une grande salle en rez-de-chaussée où œuvres en bois captent mon regard : maquettes d’escaliers de grande volée, charpentes audacieuses, ferronneries artistiques, sculptures… Aux murs des affiches qui retracent l’histoire du Compagnonnage depuis le Moyen-Âge : je m’y attarde car si j’ai toujours entendu parler des Compagnons j’ignore tout de leur histoire si ce n’est par des propos contradictoires qui assimilent cette organisation ouvrière à la Franc Maçonnerie.
Quelques "oeuvres" au rez-de-chaussée
L’histoire du Compagnonnage commence après la sclérose des corporations moyenâgeuses qui avaient érigé les cathédrales. Celles-ci avaient perdu leur tradition de charité et d’accueil des ouvriers de passage qui parcouraient l’Europe de chantiers en chantiers. Pire, enfermés dans leurs corporations les ouvriers étaient en quelque sorte assignés à résidence et ne pouvaient prétendre à aucun changement de statut social ! A partir du XIII° siècle de plus en plus de compagnons des corporations quittent le carcan corporatif afin de voyager librement et être maîtres de leur apprentissage et savoir.
Les Compagnons ancrent leur histoire dans la transmission des savoir-faire des grands bâtisseurs depuis les temps bibliques. Leur légende comporte quelques anachronismes d’où émergent leurs trois figures mythiques fondatrices dont je peux voir le « portrait » près de la porte d’entrée : le Roi Salomon, Maître Jacques et le Père Soubise.
Historique du compagnonnage par posters du rez-de-chaussée et 3 figures fondatrices
Forgée au fil des siècles, la tradition fait remonter l’origine des compagnons à la construction du Temple de Salomon. Dans l’Ancien Testament le Roi Salomon pour respecter les dernières volontés de son père fait bâtir un temple d’une grande magnitude pour recevoir l’Arche d’Alliance unissant l’Éternel au peuple Hébreu. Salomon aurait créé le compagnonnage pour hiérarchiser la multitude d’ouvriers présents sur le chantier du Temple, Maître Jacques devenant alors le maître des maçons et tailleurs de pierre tant son savoir était grand. Associé au cours des siècles à Jacques de Molay, dernier grand maître des Templiers ou encore à Jacques Moler, maître d’œuvre de la cathédrale d’Orléans, Maître Jacques est le symbole du travail de la pierre. Représenté en robe de bure, le Père Soubise, moine et architecte aurait été selon la légende architecte sur le chantier du Temple de Salomon, où il aurait encadré les charpentiers. Une autre légende en fait un moine bénédictin qui aurait participé avec Jacques Moler au chantier de la cathédrale d'Orléans. Il est le symbole du travail du bois.
Du temple de Salomon à la cathédrale d'Orléans
Sur un poster j’apprends qu’au XV° siècle des ordonnances royales et des arrêts de parlement tentent d’entraver les sociétés de Compagnons (connues sous le nom de Devoir ) car elles osent se soustraire au pouvoir corporatif. Semi clandestins les compagnons doivent leur survie à l’entraide et la solidarité qui accompagnent leur mobilité. Pendant les trois siècles suivants ils structurent et ritualisent leur organisation, gagnent en puissance et excellence si bien qu’ils deviennent indispensables sur les nombreux chantiers qui jalonnent la fin de l’Ancien Régime. La Révolution les frappe de plein fouet en interdisant toute forme d’association ouvrière ou patronale : les compagnonnages sont une nouvelle fois prohibés. Ils traversent la période révolutionnaire sans se dissoudre et trouvent leur salut dans la clandestinité.
La Révolution Industrielle du XIXe siècle, redonne au compagnonnage ses lettres de noblesses, Le but formateur des sociétés de compagnons est largement reconnu ainsi que leur force de protection des ouvriers. Les compagnonnages négocient les salaires et organisent même des grèves... mais en fin de siècle la Seconde Révolution Industrielle bouleverse le monde du travail, des métiers disparaissent, la conscience de classe émerge et les syndicats ouvriers prennent la main avec l’apparition de chambres syndicales.
La première guerre mondiale est une hécatombe pour le compagnonnage avec la mort dans les tranchées de milliers d’aspirants ou compagnons. La seconde guerre mondiale et l’épisode de Vichy parachèvent l’effondrement avant qu’en 1952 la création de la Fédération Compagnonnique des métiers du Bâtiment ne fasse renaître le compagnonnage de ses cendres.
Aujourd’hui, le compagnonnage compte trois sociétés : l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France, l’Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs unis, et la Fédération Compagnonnique des métiers du Bâtiment. Chaque société perpétue ses propres traditions et les valeurs du compagnonnage, tout en s’adaptant aux exigences contemporaines. Leur devise reste inchangée : « ni s’asservir, ni se servir mais servir ».
Mieux informée je continue ma visite au premier étage où sont exposées non pas d’impressionnantes maquettes d’aspirants comme au rez-de-chaussée mais quelques chefs d’œuvres de compagnons et diverses pièces significatives du compagnonnage.
Près du seuil un fanion brodé se détache du mur blanc où il est exposé. Fond violet, lettres et symboles brodés au fil d’or, j’y retrouve la symbolique des compagnons : un compas croisé d’une équerre. Le compas représente les notions de précision, de justes mesures et de réflexion. L’équerre, outil servant à tracer des angles droits, symbolise la droiture et le respect des règles. Face à lui je contemple plusieurs chefs d’œuvres qui ont permis à l’ouvrier en formation dans sa communauté, pendant ou après son Tour de France, parcours professionnel et humain qui s’étend aujourd’hui au-delà des frontières, d’être admis au grade de Compagnon du Devoir. La qualité du travail n’est pas la seule requise pour obtenir cette qualification il faut aussi des qualités humaines dans le comportement de tous les jours. Le compagnonnage français a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'humanité en 2010 sous le titre « Le compagnonnage, réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier ».
Brevet d'admission au grade de Compagnon et chefs d'oeuvres
Dans une vitrine des rubans brodés attirent mon regard. Il s’agit des « couleurs » particulières à chaque compagnon, tout comme sa canne ou son surnom. Entre eux, les jeunes aspirant s'appellent par un patronyme compagnonnique, constitué du nom de leur région ou de leur province : Occitan, Limousin le Libre Esprit, Poitevin le Cœur Sincère, Landais la Persévérance…
La Couleur varie selon les métiers : bleue pour les métiers du bois, rouge pour les métiers du métal, blanche pour les métiers liés au minéral, verte pour les métiers du cuir, jaune pour les métiers de bouche. La Couleur porte ensuite des symboles, gravés au fer chaud lors des différentes cérémonies qui ponctuent le parcours de formation professionnelle et humaine. La Canne représente le voyage « Tour de France ». Elle sert de soutien, d’appui pour continuer d’avancer…
Actuellement les femmes peuvent faire partie du compagnonnage mais en fait elles n’ont jamais été absentes comme le rappellent plusieurs photos de « mères ». Ce sont elles qui depuis le Moyen-Âge ont assuré gite et couvert aux compagnons en même temps qu’elles veillaient au respect des règles communautaires. Au cours des siècles elles ont contribué faire du compagnonnage une grande famille dont les 7 fondamentaux sont : accueil, métier, voyage, communauté, transmission, initiation, chef d’œuvre.
Mères, réglement et couleurs
P.S. Le portrait dans l’insert de la façade du musée représente le Père Soubise…Vérification faite à partir du Net !
Bibliographie :
Feuillets des Compagnons du Tour de France
Brochure du Musée du Compagnonnage de Toulouse
https://www.lesbellesvertus.com/symboles-des-compagnons/
https://compagnonsdutourdefrance.org/pages/le-tour-de-france
Crédits
Photos personnelles et des sites consultés