Depuis ma visite au Castel Gesta en septembre dernier j’avais le projet d’évoquer sur mon blog les figures de deux maitres verriers toulousains dont j’avais pu apprécier les œuvres tout en connaissant mal leur vie.
En temps de confinement sanitaire la réception quotidienne de perles artistiques envoyées à ses fans par une conférencière toulousaine a réactivé l’émerveillement que j’avais eu en contemplant enfant dans l’église des Minimes les vitraux de Louis Victor Gesta et bien plus tard le vitrail d’Henri Guérin éclairant le nouvel orgue de l’Institut Catholique ou celui de l’oratoire de l’Hôpital Joseph Ducuing. Les artistes contemporains ne sont pas en reste d’après les documents reçus mais à ce jour je n’ai vu in situ aucune de leurs réalisations !
Verrières du XIX° et XX° siècles
Louis Victor Gesta peintre verrier et manufacturier toulousain (1859-1872)
Louis-Victor Gesta naquit le 26 Septembre 1828 à Toulouse, rue Pargaminières. Fils naturel, né de père inconnu, il fut légitimé par le mariage de sa mère avec Jean-Pierre Gesta et porta son nom.
Dans ces années-là, la Restauration de la Monarchie avait favorisé la réparation des édifices religieux souvent très dégradés pendant la période révolutionnaire... et favorisé dans le même temps les affaires des verriers. On pouvait compter plus de 700 ateliers de peintres verriers à travers la France. Leur renaissance coïncide avec une résurgence de la foi catholique qui joue un grand rôle dans l’embellissement des églises et favorise la construction de nouvelles bâtisses. Le vitrail va devenir un moyen de catéchèse et de propagande dans le domaine religieux.
Jeanne d'Arc - Vitraux de Doumerc (XIX°) Eglise des Minimes - Toulouse
Parallèlement, le XIXe siècle est une période de redécouverte du Moyen-Âge. Victor-Hugo écrit « Notre-Dame de Paris », de nombreuses adaptations de pièces de Shakespeare sont jouées à Paris... C’est dans ce contexte que naît le vitrail «archéologique» ou «néo-médiéval». Il reprend des formules de vitraux médiévaux mais sa spécificité c’est l'importance que prend la peinture sur verre en lieu et place du verre coloré. Le maître verrier crée le modèle, décide des couleurs. Ses assistants se chargent des tâches moins nobles (coupe du verre, cuisson et mise en plomb). Ces nouveaux « artistes industriels » vendent leur production sur catalogue. A Toulouse une douzaine de maîtres-verriers exerçaient alors et près de la moitié dans le quartier des Chalets.
Louis-Victor Gesta, élève de l’École des Beaux-Arts de Toulouse, fut aidé dans ses études grâce à une bourse du Conseil Général qui lui permis d’enter à l’École Centrale des Arts et Manufactures de Paris. Il compléta sa formation de verrier avant de s’établir à son compte à Toulouse dans un premier atelier Boulevard de Strasbourg en 1852. Les commandes affluèrent pour de nombreuses églises à Toulouse, Montauban, Albi, Périgueux, Montpellier , Limoux, Castres…
Vitraux d'églises à Rouergue, St Sulpice, Le Vernet, Hôtel Dieu Toulouse
En 1859, Louis Victor Gesta se marie et sur des terrains appartenant à son beau-père, il installe de nouveaux ateliers Avenue Honoré-Serres comportant des hangars, un four, un magasin et deux petites maisons d’habitation. Il devient un notable connu ayant à son actif la réalisation et vente de plus de 8500 vitraux et verrières, Il emploie des peintres verriers et des dizaines d’ouvriers et se fait construire à partir 1860 dans la parcelle où se trouve sa manufacture une résidence somptueuse d’un style néo- gothique très en vogue alors baptisé Castel Gesta . Le château est richement meublé et décoré : peintures murales, verrières, boiseries finement sculptées, fer forgé, plafond à caissons ,dallage à motifs, rien n’est laissé au hasard. Un grand parc protégé par une imposante enceinte est décoré d’authentiques sculptures médiévales. Ce cadre végétal finalise l’ensemble connu sous le nom de « Château des Verrières » mais aussi « Maison du Verrier » où la bourgeoisie toulousaine plaisait à se retrouver sur invitation.
Le Castel Gesta
Je me rappelle, enfant, lorsque je passais par l’avenue Honoré Serres (prolongement de l’avenue des Minimes où j’habitais), je m’arrêtais souvent pour contempler une tourelle qui ressemblait à celle des châteaux de mes livres de contes. Un porche en pierre sculptée détonnait à mes yeux avec deux commerces peu reluisants qui l’encadraient un laboratoire d'analyses médicales et un garage! J’étais intriguée mais personne autour de moi ne pouvait me dire si quelque prince avait habité là…
Louis Victor Gesta est l’exemple même de ces entrepreneurs ayant réussi à développer et à faire prospérer leur manufacture, s’appuyant à la fois sur un talent et une maitrise technique exemplaire .Il dessinait et aquarellait les projets, confiait l’exécution des gabarits en carton à des dessinateurs qui à leur tour les confiaient aux peintres. Les équipes étaient complétées par des vitrificateurs et des monteurs en plomb auxquels s’ajoutaient des ateliers de gravure sur verre et de serrurerie, ces derniers fournissant tous les accessoires nécessaires à la pose des vitraux. Le maître-verrier sut même imposer à sa clientèle ses modèles de vitraux religieux ou profanes réalisés en série et proposés sur catalogue. Il pouvait même proposer à ses clients une notice de montage pour qu’ils réalisent la pose !
La situation se gâte en 1890, car les églises souffrent des lois hostiles de la III° République. Les chantiers se raréfient par manque d’argent et la demande civile est insuffisante pour combler le manque à gagner... La manufacture tourne au ralenti, Louis Victor Gesta s’endette ,un de ses créanciers tente de faire saisir ses bâtiments. La faillite est inéluctable malgré les efforts des trois fils du maître verrier pour sauver l’entreprise. A la fin de 1893 la société est en liquidation. Louis Victor Gesta meurt quelques mois après. Faute d’entente entre les héritiers, le château et le parc sont vendus et les biens mobiliers dispersés. Commence alors pour le domaine une longue descente en enfer, une dégradation sans appel malgré quelques timides interventions de la mairie ou de l’Etat (le Château était classé depuis 1991) qui culminera avant la fin du siècle par des actes de vandalisme et des squats dans le bâtiment délabré.
Finalement sous l’impulsion d’architectes l’édifice est réhabilité, restauré et rénové et destiné à des logements d'exception après plus de 5 années de travaux. C’est remis à neuf que je le visitai dans le cadre des Journées du Patrimoine en automne 2019.
2019 a été l’année où se sont levés beaucoup de mystères pour moi au sujet du Château des Verrières et de Jean-Charles Gesta. Cette année-là était aussi celle du dixième anniversaire de la disparition d’un autre grand maître-verrier toulousain, Henri Guérin, décédé en octobre 2009. J’en proposerai l’évocation prochainement.
Références de lecture : C .Maillebiau : Les Châteaux de Toulouse. Loubatières, éditeur, 2000. - Lise Anjalbert : un Château dans Toulouse
« Les Verrières » , in Académie des Inscriptions et belles lettres, année 1988. - Mange (Christian),
« Histoire et identités toulousaines : le château des Verrières de Louis-Victor Gesta (1828-1894) », in Toulouse, une métropole méridionale, Toulouse PUM, Coll Méridiennes, 2009, p. 1027-1033. –
Louis Peyrusse, Christian Mange, "Les Verrières, le Moyen Âge retrouvé", in Midi Pyrénées Patrimoine, N°18, été 2009, p. 90-94.
« Louis-Victor Gesta, peintre verrier et manufacturier toulousain » in L’auta , bulletin mensuel des Toulousains de Toulouse (n°. 105 mai 2019)