C’est une date anniversaire, celle de la naissance du grand violoncelliste qui m’amène à évoquer sa vie. Pau Casals naquit le 29 décembre 1876 au Vendrell, village de Catalogne voisin de celui de mon père qui, frère en exil et en idéal, tissa des liens d’amitié avec celui qu’on appelait « el Mestre » ( le Maître »). A l'occasion en 2020 du centenaire de l'Orquestre qui porte son nom , les moments clefs de la vie de ce grand violoniste ont été mis en ligne. Je rafraîchis donc mon article en donnant les liens pour y accéder.
« Qui a entendu son archet ne l’oublie jamais » disait de Pau Casals le Président Herriot.
Aîné d’une famille de 11 enfants dont trois seuls survécurent, Pau commence à jouer du piano à 4 ans. Son père bon musicien et organiste de profession est son premier maître. A 8 ans le jeune Pau joue du violon, de la flûte et du piano. Après avoir entendu un concert pour violoncelle il décide qu’il jouera de cet instrument. Son père lui en fabrique un, rudimentaire, avec une calebasse amoureusement poncée et vernie, munie d’une seule corde que Pau n’oubliera jamais.
A 12 ans ses parents décident de l’inscrire à l’École Municipale de Musique de Barcelone. La capitale catalane était alors une ville férue d’Art Nouveau, de théâtre et de musique. A 17 ans Pau Casals gagne sa vie en jouant le répertoire classique aux terrasses de cafés. C’est là qu’Isaac Albéniz le découvre et le recommande à la Reine d’Espagne qui, conquise par son talent lui offre son premier grand violoncelle, un Bergonzi . Pau termine ses études à Madrid puis à 20 ans il commence à parcourir l’Europe en brillant soliste. L’impériale St Pétersbourg l’ovationne en 1905. Grieg dit de lui : « Casals n’interprète pas, il ressuscite…. » .
En 1920 il fonde l’orchestre Pau Casals qui devient rapidement l’orchestre du Liceu de Barcelone, puis 5 ans plus tard il crée l’ « Association Ouvrière de Concerts » pour ouvrir en grand les portes de la musique aux barcelonais. La proclamation de la République en 1931 comble d’espoirs son cœur et coïncide avec une période de compositions empreintes de traditions catalanes comme le Salve Montserratina .
Lorsque la guerre civile éclate Casals se dépense sans compter en tournées mondiales au bénéfice des forces républicaines espagnoles. La défaite fait de lui un exilé comme des milliers d’autres. Réfugié à Prades dans les Pyrénées orientales il s’y établit dans la tourmente de la 2° guerre mondiale et refuse d’obtempérer au souhait d’Hitler désireux d’en faire un concertiste du Reich. Le gouvernement de Vichy le considère comme indésirable et le laisse en butte aux tracasseries de la Gestapo d’autant plus fréquentes que les États –Unis le sollicitent pour animer en « zone libre » des concerts au bénéfice des « alliés ». La victoire de 1945 ne remettant pas en question le régime franquiste, Casals refuse les honneurs que les vainqueurs veulent lui rendre. Seule l’amicale pression d’artistes comme Schneider, Tortelier, Rotemberg l’amène à reprendre le cycle des concerts et festivals au service de la paix.
En 1950 l'exil catalan se mobilise pour reprendre la tradition des "Jocs Florals" (Jeux Floraux) évènement culturel majeur de la langue et culture catalanes interdit dans l'Espagne du Général Franco. Pau Casals en fera le discours d'ouverture revendiquant la reconnaissance et le respect du patrimoine linguistique et culturel des peuples.
https://www.youtube.com/watch?v=NgUnJIjnH8k
En 1951 il crée le 1° Festival de Prades en hommage à Jean Sébastien Bach qu’il affectionne particulièrement. Albert Schweitzer préside le troisième festival et déclare parlant de Casals: « C’est un grand musicien sur tous les plans. Un violoncelliste hors pair, un chef d’orchestre extraordinaire. Je suis profondément impressionné par la signification de ses œuvres » et en premier pourrait-on ajouter, San Marti del Canigó , la sardane de l’exil. Toute sa vie durant Casals jouera chaque jour une « Suite » de J.S. Bach, invariablement, inlassablement , toujours à la recherche de la perfection : le lundi la première, le mardi la deuxième et ainsi de suite jusqu’au samedi. Le dimanche le Maître reprend la sixième.
« Qu’enseignons-nous à nos enfants dans nos écoles ?que deux et deux font 4. Mais quand leur montrerons-nous ce qu’ils sont réellement ? Quand leur demanderons-nous : savez-vous qui vous êtes ? Quand leur dirons-nous : vous êtes une merveille. Vous êtes uniques. Dans le monde chaque enfant est unique. Vous avez la capacité de réaliser toutes sortes de choses : vous pouvez devenir un Shakespeare, un Miquel-Ange, un Beethoven. En vérité comment pourriez-vous, devenus grands, blesser ou meurtrir d’autres êtres comme vous ? » Ces paroles de Pau Casals sont son credo incarné dans son art et sa musique au service des causes, peuples et hommes qui luttent pour une humanité meilleure.
En 1960 le Maître achève son oratorio El Pessebre ( La Crêche) qu’il porte en lui depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il abandonne alors ses récitals publics pour diriger cette œuvre dans une série de tournées mondiales qu’il considère comme sa croisade personnelle pour la paix.
https://www.youtube.com/watch?v=tgvlvaYhifU
Un an après la création mondiale à Acapulco , les 2 et 4 Octobre 1962 , Pau Casals donne à Toulouse deux prestigieuses représentations avec les orchestres de Radio France et du Théâtre du Capitole, le concours de l’ Orfeó Català et la grande soprano Montserrat Caballé. Quelques mois après il déclare devant le « mur de la honte » à Berlin : « Des fleurs posées au sol m’ont dit que ce mur est aussi pour les Berlinois celui de la douleur. Ce mur me pousse à continuer mon œuvre en faveur de la paix internationale en portant partout cet appel à la fraternité que constitue mon message artistique El Pessebre . »
Trois ans de succès mondiaux le conduisent de Londres à New-York, de Buenos-Aires à Washington, de Budapest à Pittsburg, d’Athènes à St Michel de Cuixà où se déroule chaque année le Festival de Prades. En 1967 El Pessebre dirigé par son frère Enric Casals clôture la « Conférence pour la Paix » à Genève. U’Than Secrétaire Général des Nations Unies demande alors au Maître de composer l’Hymne des Nations-Unis. En 1971 Pau Casals honorant la demande, assure la direction musicale de l’oeuvre devant l’Assemblée des Nations-Unies et reçoit sous une immense ovation, la Médaille de la Paix. Il dira : « Je reçois aujourd’hui l’hommage le plus grand de ma vie. La paix a toujours été au centre de mes préocupations…Il y a de nombreuses années que je ne joue plus du violoncelle en public, mais je crois que je dois le faire en cette occasion. Je suis catalan. Je vais donc jouer une mélodie du folklore catalan El cant dels Ocells ( Le chant des Oiseaux). C’est une mélodie que Bach, Beethoven et tous les grands auraient aimée et de plus elle naît de l’âme de mon pays : la Catalogne ».
https://www.youtube.com/watch?v=CMWZEjERlwQ
Il restait trois années de vie au Maître. Elles s’écoulèrent dans l’île de Puerto-Rico qu’il avait choisi d’habiter depuis son mariage en 1956 avec Marta Montañez, musicienne et portoricaine comme sa propre mère. A la mort de Pau Casals le Recteur de l’université de Paris, Jean Sérailh lui rendit hommage : « Exemple vivant de la fermeté et de la suprême dignité, Pablo Casals apparaît dans l’histoire tout autant comme le symbole de l’orgueil au service de la véritable liberté que comme l’incomparable maître de la musique ». Ces mots laissent entendre pourquoi au terme d’un exil volontaire de plus de quarante ans, Pau Casals mourut loin de sa terre natale. Conformément à sa volonté, sa dépouille ne rejoignit El Vendrell qu’après la mort du Général Franco et le rétablissement de la Démocratie en Espagne.