Est-ce à cause de l’étrange période que nous traversons - atmosphère aux relents mortifères, mesures gouvernementales chaotiques, lassitude - que me reviennent en mémoire les peintures mélancoliques de Montserrat Gudiol ? Comme si leur contemplation ouvrait la voie à une intériorisation apaisée…
Montserrat Gudiol est née en 1933 d’une famille catalane étroitement liée à l’art par la profession de son père Historien d’Art et expert en peintures médiévales qui laisseront une influence certaine chez l’artiste tant pour le dessin que pour la gamme chromatique.
En 1950, à 17 ans elle expose à Ripoll , haut lieu de l’Art Roman catalan, une série de dessins qui lui valent de flatteuses louanges et l’encouragent à participer à d’autres expositions en Catalogne, puis viennent Séville et Madrid avec des premiers prix en dessin.
A partir de 1964 elle expose régulièrement aux États-Unis. Quelques années plus tard, son retour dans les salles et galeries d’expositions nationales et catalanes coïncide avec la démocratisation de l’Espagne.
Dès 1973 elle reçoit des commandes officielles. Infatigable et toujours en recherche de sa propre évolution elle présente plusieurs œuvres en URSS, à Moscou en 1979.
En 1981 elle devient la première femme membre de l’Académie des Beaux Arts en Catalogne. Durant une dizaine d’années ses œuvres sont présentées dans les galeries catalanes de renom.
En 1992 elle est une des artistes les plus importantes du Pavillon Catalan à l’Exposition Internationale de Séville et continue à exposer jusqu’en 2001, un peu partout y compris en Australie et au Japon.
En 1998 la Croix de St Georges, la plus haute distinction catalane, récompense son talent , son apport à la peinture et sa dimension internationale.
Ses œuvres se trouvent dans de nombreux musées en Espagne ainsi qu’aux Etats-Unis et aussi dans les salles de ventes. Sa peinture figurative fait surgir de la toile, du papier, du bois des personnages éthérés qui semblent naître du néant et flotter dans une atmosphère baignée de mystère. Visages émaciés, profils androgynes, mains fines, regards cherchant un ailleurs fascinent le spectateur. Le silence s’impose. Montserrat Gudiol ou le « Peintre du Silence », un silence servi par une esthétique épurée qui invite à la méditation…
Très tôt reconnue pour la qualité de ses dessins elle en donne quelques clefs lors d’une interview rapportée dans le journal « La Vanguardia » du 5 décembre 1960 :
Quels dessinateurs vous ont le plus influencée ?
Les primitifs m’ont beaucoup inspirée.
Avez-vous suivi des cours ?
Non, mais j’ai eu la chance d’être conseillée par mon père.
Comment envisagez-vous le dessin ?
Concret et ajusté à une réalité idéaliste. Voir la réalité et la transformer par mon imagination.
Pourquoi tant de désolation et de tristesse dans vos dessins ?
Parce que ce qui est froid et triste a plus de force et de mystère que la joie.
Dessins de Montserrat Gudiol
Suivront 40 années d’une prolifique production artistique consacrée à la peinture de personnages essentiellement féminins, d’une grande finesse formelle, se détachant d’un arrière plan monochrome, sans objets ni perspectives d’où émane une atmosphère irréelle. La palette regorge de tons rompus n’excluant pas la fulgurance rouge dans quelques œuvres. Montserrat Gudiol ne s’inscrit dans aucun de courants actuels. Le mystère et la délicatesse des visages évoquent le préraphaélisme anglais ou le symbolisme français ou encore les périodes bleue ou rose de Picasso.
Maternité, couple, méditation...
Après avoir atteint une notoriété incontestable avec les commandes de Sant Jordii el Drac (1974) par le gouvernement autonome de Catalogne et Sant Benet(1980) pour le Monastère de Montserrat, l’un représentant le Saint Protecteur de la Catalogne terrassant le Dragon sur un fond écarlate insoutenable, l’autre surgissant des ténèbres avec le livre de la Règle de Saint Benoît à la main, Montserrat Gudiol accorde une entrevue l’année où elle est devenue la première femme académicienne. Elle est toujours belle, menue et se fait discrète, elle qui séparée de son époux en 1975 a élevé ses six enfants et mené une brillante carrière au quatre coins du monde avec toujours dans son cœur Barcelone, sa ville où pour se détendre elle fait de longues marches en solitaire.
N'y a-t-il que l’être humain qui vous intéresse en peinture ?
Oui car l’humain m’intéresse beaucoup. Peut-être fais-je la représentation d’esprits sans m’en apercevoir. Ce que je peins c’est la lutte jour après jour pour donner du sens à la vie.
C’est sans doute pour cela que ses personnages expriment comme l’attente d’une question sans réponse et leurs yeux mi-clos semblent regarder sans voir. La mélancolie est leur domaine . C’est sans doute pour cela que l’art de Montserrat Gudiol est intemporel.
Il fallait bien qu’en ces années de grande maturité artistique, sa route croise celle de José Maria Subirachs, sculpteur prestigieux et inspiré, qui depuis 1987 consacrait sa vie et son œuvre au chantier de la Sagrada Familia. Les deux artistes aimaient à se retrouver dans l’effervescence des travaux en cours ou dans le studio sommaire du sculpteur pour échanger sur esquisses, études, découvertes…En 2009 la maladie force le sculpteur à abandonner le chantier mais les deux artistes continuent leurs échanges et projettent même de voyager en Grèce et en Egypte , creusets de L’Art et bien plus. Le sort en décidera autrement. Subirachs meurt en 2014 et un an après, le 25 décembre 2015 Montserrat Gudiol décède entourée des siens.
En entrant au XXI° siècle l’activité de l’artiste s’était réduite . Néanmoins Montserrat Gudiols continuait d’honorer commandes pour particuliers et expositions collectives. Inlassablement elle poursuivait son œuvre fidèle à la réponse donnée au journaliste qui lui demandait :
Tout au long de votre carrière n’avez-vous jamais eu envie de faire un autre type de peinture ?
Certes mais je n’aime pas ce que je fais alors. Je crois davantage à l’évolution d’un artiste et non en la rupture dans son expression artistique. Rompre pour moi c’est abandonner la lutte. Picasso a fait de grandes ruptures mais son talent exceptionnel lui a permis de s’ouvrir à d’autres expressions sans altérer son génie créateur.
Dans son sobre faire-part de décès sa famille lui rendit hommage en ces termes : « Montserrat Gudiol y Corominas. Peintre. Grand Croix de St George. Membre de l’Académie Royale des Belles Lettres ST Georges. Elle a vécu sa vie passionnément, totalement dévouée à son art, à ses enfants et à sa famille. Brillante, humaine, créative et généreuse. Ses peintures intimistes, reconnues internationalement témoignent de son énorme talent et de son amour pour l’Art. Décédée à Barcelone à l’âge de 82 ans. »
Souces :
https://montserratgudiol.com/index.html
Archives El Périodico
Archives La Vanguardia
https://amf2010blog.blogspot.com/2014/10/josep-m-subirachs-y-montserrat-gudiol.html