En ce début d’année qui n’est que la suite de l’an passé, je reprends l’évocation de légendes catalanes. Celle que je propose a pour lieu Gérone, capitale de l’Ampurdan, et comme protagonistes un saint et des mouches…cette légende est si vivace qu’elle explique que la ville ait pour Patron ce Saint là, des faits historiques miraculeux, des noms de rues particuliers et des gestes festives et populaires. Artiste , écrivains, chroniqueurs, s’en sont inspirés et la voici résumée en quelques lignes :
Légende des mouches de Sant Narcis (Saint-Narcisse)
« En 1285 les troupes du roi de France arrivèrent sur la ville de Gérone avec l'intention de l'attaquer. Les habitants de Gérone fermèrent les portes des murailles et se réfugièrent dans l’enceinte pour exécuter une manœuvre défensive. Les soldats français ne purent passer les fortifications et, furieux, occupèrent les quartiers hors murs. L'église de Saint Félix où se trouvait le sépulcre de Sant Narcis, devint le camp militaire des français. La soldatesque profana le corps demeuré intact jusqu’alors et en dispersa les restes…
Un menuisier, qui avait vu toute la scène, décida de ramasser ce qui restait du corps à la nuit tombante pour bien le ranger dans un coffre qui servirait de tombeau. Au petit matin le charpentier vit que de ce tombeau improvisé sortaient des mouches de la taille d'un gland, au corps vert bleuté et une tête en forme d’aiguillon. Très vite un grand nuage de mouches s’envola vers le camp où reposaient les troupes françaises. Les mouches bourdonnantes et venimeuses, piquaient et piquaient encore les soldats avec leurs têtes pointues. Les malheureux pleuraient et criaient de peur, tandis que leurs chevaux hennissaient d’épouvante.
Les insectes étaient, en fait, l'armée envoyée par le saint pour sauver la ville !
Face à l’attaque les Français mal en point battirent retraite, abandonnant toute idée de conquête. De nombreux soldats perdirent la vie en retournant en France, mais les français de siècle en siècle continuèrent à caresser l’idée de conquérir la ville. De temps à autres ils revenaient tenter le siège. Alors chaque fois qu'ils se sentaient attaqués, les habitants de Gérone portaient le sépulcre de Sant Narcis au pied des remparts afin que le saint envoie son armée de mouches mortifères. Ainsi, à Gérone les mouches sont les alliées de tous, car elles ont aidé les habitants à défendre la ville depuis des siècles et en maintes circonstances. »
La légende et son épilogue s’arrêtent là mais pas l’histoire de Gérone et de ses sièges successifs.
Après l’abandon du siège de la ville par les troupes françaises de Philippe le Hardi, en septembre 1285, et l’épisode légendaire des mouches, en 1653 lors de la Guerre de 30 ans qui opposaient les couronnes royales françaises et espagnoles, les français commandés par le maréchal d’Hocquincourt assiègent une nouvelle fois et sans succès Gérone. Le Traité des Pyrénées ne règle pas les incursions françaises d’autant plus qu’une partie de la Catalogne scindée en deux , se révolte. En 1684 le Maréchal Bellefond subit à son tour l’humiliation de l’échec au siège de Gérone. Chacun de ces épisodes comme en attestent les chroniques historiques, se solde par des centaines de morts et l’apparition d’épidémies pestilentielles, véritable bénédiction pour les mouches ! Les gironnais de siège en siège restent convaincus, par mouches interposées, du caractère miraculeux de leur résistance aux assauts.
Ils finissent par nommer Sant Narcis « Généralissime des mers et des terres » après un nouvel échec du siège de Gérone par les troupes napoléoniennes en juin 1808. Malgré l'avantage numérique français, le Général Duhesme est vaincu et doit se replier sur Barcelone avec environ 300 morts et 32 blessés. Du côté de Gérone, il n'y a eu que sept morts et 27 blessés ! La dévotion à Sant Narcis et à son armée ailée atteint son paroxysme. La cérémonie grandiose du 3 juillet 1808 en l’Eglise de Saint Félix en présence des autorités religieuses, civiles et militaires scelle l’attachement fervent de la ville à son Saint et ...aux mouches !
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
En premier lieu « La rue des mouches », au cœur de la vieille ville où selon la tradition vécut Sant Narcis. Elle est mentionnée dans des documents du XII° siècle qui rapportent aussi qu’un jour le saint fuyant ses persécuteurs s’échappa de son logis par la fenêtre laissant l’empreinte de son pied sur le rebord. Elle apparut aux yeux de ses poursuivants à l’envers, comme si le saint se cachait à l’intérieur et la fouille fut vaine.
Les mouches du "Carrer de les mosques" (Gerone)
De nos jours cette rue a été décorée par des artistes. Mouches multicolores peintes, sculptées en bas-reliefs, dessinées sur les murs accompagnent le promeneur. Au coin de la rue il y a même la sculpture en pierre du pied du saint, orné de mouches…Comme Salvador Dalí était ampurdanais il ne faut pas s’étonner de trouver sur plusieurs de ses toiles quelques essaims de mouches et ne pas se laisser surprendre quand au cours d’une de ses apparitions spectaculaires il se présenta moustaches conquérantes et gominées ornées de mouches !
Les mouches dans la peinture de Salvador Dalí
Les Fêtes de la Ville sont aussi l’occasion d’honorer le saint et de se livrer aux plaisirs de ces fêtes traditionnelles qui marquent l’arrivée du froid, en veille de Toussaint. Le proverbe l’assure, l’hiver est sans pitié pour les mouches : « Per la Sant Narcis cada mosca val per six » (Pour la Saint Narcisse chaque mouche vaut pour six). Pour les Gironnais il est temps de prendre manteau, chaussettes épaisses, de garder les mains au chaud avec des marrons grillés en vente dans les rues de la vieille ville. Défilés de « Géants et Grosses Têtes », performances de « castellers », sardanes, concerts, messes et processions se succèdent durant une semaine à partir du 28 novembre. « L’Esquivamosques » (l’Esquive-mouches) est le plus fameux des « Capgrossos » ( Grosses Têtes) qui animent les défilés dans la ville. Il porte une veste verte à la française, très utilisée dans la première moitié du XVIIIe siècle en France. Ses chaussures sont dépareillées, barbu avec une grosse mouche sur le nez, il louche ce qui lui donne l'apparence d'un personnage idiot. Depuis 1875 l’Esquivamosques fait la joie des petits et des grands !
Et le Saint ?
Il semblerait qu’il soit l’homonyme d’un Patriarche de Jérusalem reconnu au III° siècle comme Saint par les Églises catholique et orthodoxe et mort à plus de cent ans en 212 comme en atteste par écrit son successeur Alexandre. Saint Narcisse de Jérusalem s’efface dans les textes de L’Église catholique vers le XI° siècle au profit de Saint Narcisse de Gérone. Le Pape Sylvestre dans une bulle envoyée à l’Évêque de Gérone le mentionne en faisant allusion à sa sépulture dans l’église de St Felix dans cette même ville.
La vie de Saint Narcisse de Gérone tient de la légende. En 1570 un bréviaire de l’église de Augsbourg (Bavière) mentionne sa naissance à Gérone , fils d’une noble famille . Son engagement religieux et sa piété en firent l’évêque de sa ville . En butte aux persécutions des représentants de l’empire romain il s’enfuit vers les terres germaniques et fut recueilli par une prostituée qu’il convertit et qui pour cela périt brûlée vive. Retourné en Ampurdan ses prêches amenaient beaucoup à se convertir. En 304 il fut proclamé évêque de Gérone. C’est en se préparant à célébrer une messe le 18 mars 307 qu’il périt assassiné comme tous les fidèles présents.
En 1601 sa fête fut fixée comme celle de Saint Narcisse de Jérusalem au 29 octobre.
Pour ma part je remercie les mouches de Gérone et le Saint qui a fait naître leur légende pour l’incursion dans le merveilleux et l’historique que j’ai pu faire par leur évocation !