Il n’y a pas que le massif de Montserrat qui ait alimenté l’imaginaire catalan, plus au nord, sur la chaine des Pyrénées orientales, le Massif du Canigou et son pic visible depuis la côte maritime, a lui aussi été le cadre de faits et merveilles. La légende qui suit en est l’illustration.
Dans les temps anciens, au sommet du Canigou s’élevait le Palais des Quatorze Vents dont sept étaient bons et sept mauvais. Quatorze fées l’habitaient qui soufflaient depuis toujours quatorze vents très forts dans les quatorze directions du monde rendant le Canigou inaccessible et parfois invisible.
La reine des fées des vents s’appelait Fleur-des-Neiges. Magicienne son plus grand charme résidait dans un pouvoir hypnotique irrésistible. Un jour, elle tomba amoureuse d'un jeune damoiseau qui venait d’être adoubé dans l'ermitage de Saint Martin, au pied du Canigou. Ce jeune chevalier avait pour nom Gentil. Il était le neveu de Guifré 1), comte de Cerdagne, qui lui avait confié la mission de surveiller l'avancée de l'armée sarrasine depuis la tour la plus haute du château de Rià. Là-haut, et sans qu’il sût pourquoi le chevalier se sentit inexplicablement attiré par la blancheur rayonnante du sommet du Canigou que les fées recouvraient de leurs manteaux. N’y tenant plus, aiguillonné par le désir d’atteindre le merveilleux sommet, Gentil quitta sa garde et entreprit l’ascension. Le sentier pentu et caillouteux était mal aisé, l’armure pesait, les cimes enneigées s’éloignaient quand Fleur-des-Neiges lui apparut barrant la route. Le chevalier ne pouvait détacher son regard de ce mirage, médusé, il s’immobilisa. Alors la reine des fées le prit par la main…
Doucement, portés par un vent léger, ils se dirigèrent vers la forêt où se trouvait la source de l’Oubli. Le chevalier écoutant Fleur-des-Neiges bu de son eau et oublia dans les bras de la fée, qui il était.
Dans la vallée le comte Guifré 1) avait perdu la bataille contre les musulmans : la désertion de son neveu en était la cause. Furieux lui et ses vaillants chevaliers organisèrent une battue en montagne et retrouvèrent Gentil assoupi près de la fontaine. Aveuglé par une fureur meurtrière Guifré le prit par le cou et mit fin à ses jours en le jetant du haut d’un ravin proche de la source. Alors ayant assouvi sa colère le comte réalisa l'atrocité de son geste. Il avait tué son neveu alors que Bernat Taillefer 2)son propre frère, le père de Gentil, mettait en déroute l’ennemi. Jamais il ne pourrait se pardonner cette mort ignoble. Accompagné de ses hommes il partit à la recherche du corps du jeune homme. Durant trois jours et trois nuits le Canigou fut secoué par des vents mauvais remplis des cris déchirants de Fleur-des-Neiges et de ses fées. Lorsque Guifré retrouva son neveu ils cessèrent.
Pour son crime le comte fut condamné par son deuxième frère, le Père Abbé Oliba 3) à vivre en pénitence au monastère de Saint Martin du Canigou où le chevalier Gentil reçut sépulture. Puis les moines du monastère plantèrent une grande croix au sommet du Canigou en rémission du crime.
Contre toute attente, la croix chrétienne défit l'envoûtement du Canigou : les fées
perdirent leurs charmes, leurs manteaux leur éclat hypnotique, et le palais des quatorze vents fondit comme neige au soleil. Les fées quittèrent la montagne pour toujours, car déchues de leurs pouvoirs elles seraient désormais accusées de sorcellerie et brûlées. Depuis nul ne sait où elles se cachent…
Après la légende un peu d’histoire puisque dans la tradition orale l’une ne va pas sans l’autre et aussi un peu de géographie pour situer le récit.
- Guifré II de Cerdagne , né vers 970 et mort en 1049 au monastère de Saint Martin du Canigou qu’il avait fondé en 1007. Il était le frère de l’Abbé Oliba et de Bernat I de Besalú surnommé « Taillefer ».
Cloître de St Martin du Canigou et miniature de Guifré II
2)Bernat Taillefer, né vers 970 et mort en 1020 en Provence était aussi Comte de Ripoll jusqu’à sa mort. D’après la chronique « Gesta Comitum » écrite par les moines du monastère de Ripoll au XII° siècle son surnom viendrait d’une légende relatant son combat contre les sarrasins au pied de St Martin du Canigou. L’ennemi s’était saisi de son épée . Désarmé le Comte invoqua St Martin qui lui donna alors sa propre épée capable de fendre le fer d’où son surnom de Taillefer
Façade du Monastère de Ripoll et tombeau de Bernart Taillefer
3) Abbé Oliba, né en 971 et mort en 1046 à l’Abbaye de St Michel de Cuixà . Abbé bénédictin il fut Évêque de Vic et Père Abbé des monastères de Ste Marie de Ripoll en Catalogne et de St Michel de Cuixà dans le Conflent. On lui doit la fondation du Monastère de Montserrat et la restauration de la ville de Manresa mise à sac en 1003 par Abd-el-Malik et l’édification de l’église romane de Cardona . Il œuvra sa vie durant pour la culture catalane et favorisa l’expansion de l’Art Roman dans les territoires qui relevaient de son autorité à la fois temporelle et spirituelle. En 1027 il y instaura une trêve de Dieu qui magnifia sa stature de politique et homme d’Église.
Tour de la Cathédrale du Vic et monument à l’Abbé Oliba (2002)
Bibliographie :
Llegendes a Catalunya (Grup Enciclopedia Catalana )
Viquipèdia (Enciclopèdia lliure catalana)
Images du net
Ruines du Château de Rià et peinture de Marc Doury