Ces derniers jours dans le cadre de l'atelier d'écriture catalan que je fréquente les thèmes à développer étaient d'ordre philosophique. Je me suis piquée au jeu et ai choisi d'aborder la question portant sur l'Art , sujet proposé régulièrement au Bac, ce qui m'a rajeunie de quelques décennies! Des pages de mon blog ont déjà traité de l'art et des artistes. Ce nouvel article m'a permis de faire un point personnel sur le sujet à ce jour.
Dans notre société occidentale cette question, surtout si on l’applique à la peinture et ce durant des siècles, ne se pose même pas.
Durant des siècles la peinture a eu comme champ d’expression la sphère religieuse. Les artistes, ou plutôt les artisans exécutaient pour l’Eglise des sculptures en bois, pierre ou marbre. L’oeuvre facilitait la prière et était l’objet d’une vénération qui dure encore comme c’est le cas, pour certaines vierges romanes des Pyrénées.
Lorsqu’il s’agissait de peinture l’artiste représentait des scènes de la vie de Jésus ou de la Vierge ou des Saints. L’Histoire Sainte était présentée aux fidèles illettrés en respectant la tradition et en faisant usage de codes quant aux couleurs. Ainsi le blanc et le bleu symbolisaient la pureté, le rouge la majesté ou la passion, l’or était l’attribut du divin …peintures et fresques formaient un véritable catéchisme que l’on peut encore voir et comprendre dans des œuvres comme celles de Fra Angelico ou les fresques de la cathédrale d’Albi merveilleusement conservées.
À l’époque baroque la peinture outre sa dimension religieuse se voulut représentation de la réalité. Les artistes de la Renaissance avaient ouvert la voie en établissant les règles de la perspective, en utilisant le nombre d’or, en pénétrant le secret des pigments. Les mécènes ( rois, papes, nobles et prélats ) aspiraient à ce que l’œuvre d’art témoigna de leur puissance et grandeur ainsi que de leur foi. Ce sens ne nous échappe guère lorsque nous voyons les portraits d’oeuvres flamandes, espagnoles, italiennes ou françaises (Dürer, Velázquez, Rubens, Pozzo, Rigault…) .Souvent ces peintures ont en toile de fond des paysages naturels ou des intérieurs de palais, maisons bourgeoises grâce auxquels le peintre nous donne à voir son époque. L’œuvre d’art est alors témoignage.
Mais la peinture peut aussi avoir une signification philosophique avec les natures mortes qui semblent n’être là que pour décorer quand, de fait, elles questionnent le spectateur sur le caractère éphémère de l’existence : « Carpe diem » cette somptueuse composition florale d’où tombent quelques pétales, « Carpe diem » cette corbeille de fruits où le vers creuse son trou, « Carpe diem »le lièvre mort posé sur une table de cuisine…
L’allusion à la philosophie classique se retrouve dans les œuvres de thème mythologique que les nobles décryptent sans peine en connaisseurs du Panthéon gréco-romain, mais aux XVI°- XVII° siècle elles ne sont plus qu’un prétexte à promouvoir les canons d’une esthétique corporelle (la sublime « Naissance de Vénus » de Boticelli , l’énigmatique « Forge de Vulcain » de Velázquez , la troublante « Europe et le taureau » de Véronèse). Les codes et les règles de la composition classique s’imposent aux artistes s’ils veulent être connus et reconnus…
Dans l’Europe du XVIII°, l’Europe des Lumières, le sens de l’œuvre est soumis aux exigences esthétiques définies par les règles académiques en vigueur. L’art donne à voir la beauté formelle propre à l’époque, mais Goya rompt ce cadre après l’invasion napoléonienne en Espagne. Ses contemporains s’horrifieront devant le sang versé et la violence de ses tableaux monumentaux « 2 de Mayo » ou « 3 de Mayo » mais le message est clair : ces peintures sont le témoignage et l’indignation d’un artiste confronté à la guerre. Plus difficiles à comprendre sont ses « peintures noires », fresques peintes à même les murs de sa maison, qui impressionnent par leur visuel atroce. Elles sont un livre ouvert que l’œil parcourt en même temps que le cœur se fige.
La génération des peintres de la fin du XIX° suivra ce chemin en s’éloignant des voies de l’académisme et en impressionnant, à défaut du cœur, l’œil par le chatoiement des couleurs et de la lumière. Le message est une fois encore esthétique mais hors du respect des règles, ce qui déconcerte et choque le public. La volonté et le talent des peintres impressionnistes finit par imposer une interprétation plastique du monde qui s’applique aussi au portrait et dépasse la réalité photographique naissante. Toute l’œuvre de Monet, Renoir, Sorrolla ou Nonell le prouve.
L’Art Moderne fait son apparition et avec lui tous les courants qui s’écartent de l’Art Académique. La forme moderne peut faire allusion à la nature, objet de la Création, comme le fait l’architecture de Gaudi ou au contraire à une géométrie qui s’inspire des premiers gratte-ciels. On voit apparaître le cubisme de Picasso ou de Gris aux couleurs franches. Les artistes veulent affirmer leur appartenance aux temps nouveaux : Futurisme en Italie, correspondance des codes picturaux et musicaux chez Delaunay, premières abstractions du russe Kandinsky, détournement d’objets de l’industrie (Duchamp)…Avec ces Avant-Gardes l’œuvre d’art n’est plus une représentation mais la création d’un univers singulier propre à l’artiste, que le spectateur ne goûte guère, ne comprend pas toujours, allant jusqu’à en dénier le moindre sens.
Le traumatisme de la première guerre mondiale accélère le processus de rupture avec l’art académique perçu comme l’art d’une société bourgeoise remise en question et incapable d’entendre les couches populaires fascinées par les idées révolutionnaires. Quelques artistes versent dans ces courants et font de leurs œuvres d’authentiques manifestes politiques comme le mexicain Siqueiros, d’autres fuient les violences et incohérences du monde en se plongeant dans les méandres de l’inconscient découvert par Freud. Les règles académiques deviennent obsolètes pour les peintres surréalistes. L’inventivité d’un Dalí, d’un Miró o d’un Magritte les enfonce toutes pour ouvrir un imaginaire onirique qui est comme un rêve si ce n’est un cauchemar.
Les décennies qui suivent la seconde guerre mondiale amènent l’éclosion de l’ Art Contemporain. Les artistes ont vu des nations exsangues, des peuples exterminés, des armes de destruction massive, des états laminés puis reconstruits, des vainqueurs et des vaincus et aussi des idéologies en échec, de nouvelles richesses, la consommation comme valeur, des technologies invasives et/ou libératrices…Où sont les règles ? L’art contemporain déconstruit l’art académique point par point : composition, forme, couleur, support, matière…L’esthétique corporelle n’est plus celle de la beauté classique mais celle de la souffrance et de la mort (Bacon) ou bien celle d’une exubérance charnelle (Botero). Les artistes de l’art contemporain ne sont plus classables de façon classique. Ils peuvent travailler seuls ou en collectif, sont peintres, sculpteurs, créateurs aux multiples facettes…Ils deviennent « plasticiens ». Leurs œuvres sont très éloignées de l’esthétique traditionnelle et elles donnent à voir le résultat de constructions intellectuelles particulières à l’artiste.
. Nous sommes devant un grand nombre de propositions : art minimaliste, art cinétique, pop art, land art, arte povera et bien d’autres. Chaque artiste propose ses œuvres et/ou installations pour ouvrir une réflexion sur le rapport au monde, au corps, à la matière, à la société, à l’histoire, au temps, à la vie, à la mort. Sa création se veut miroir du monde, agent de transmission ou de transformation, point de départ d’une réflexion esthétique, sensuelle, spirituelle, philosophique et pourquoi pas ironique ?
Ainsi donc l’œuvre d’art a toujours un sens sinon elle n’est pas Art. Mais pour la plupart d’entre-nous habitués à comprendre une œuvre selon des critères et des codes conventionnels, la production contemporaine est souvent inintelligible et sans attrait. Les clefs qui permettent de la saisir ne sont autres que le spectateur lui-même. S’il reste passif, il ne rentre pas dans l’œuvre pas plus qu’il ne rentre totalement dans le monde contemporain. Les artistes n’entendent plus l’art comme un idéal mais comme un outil pour éveiller l’empathie et l’intelligence. Parfois l’outil n’est pas à la hauteur des ambitions. Il peut aussi se corrompre au contact du dénommé Marché de l’Art…