Avec un soleil moins avare de sa présence, je reprends mes promenades en ville. Certains travaux du centre sont terminés. D'autres commencent. Je pense aux personnes âgées de la Résidence des Minimes qui ont Toulouse au coeur et ne sortent plus guère. C'est pour elles que j'écris cet article.
Comme beaucoup de toulousains les travaux de réaménagement du centre ville m’ont quelque peu perturbée : non seulement durant les derniers onze mois marcher dans la rue Alsace-Lorraine, notre grande artère commerciale, était devenu un jeu d’équilibre parmi des tronçons de chaussée éventrée, tas de pavés chinois et machines-outils, mais la halte rituelle au square de Gaulle n’était plus possible. Arbres abattus, petit étang comblé, trou béant pour réfection de la station de Métro, passage difficile en bord de palissades ont accablé un bon nombre d’entre-nous.
Pour plus de contrariété, la grande librairie Castéla, cette vénérable enseigne implantée sur la place du Capitole depuis 1917, était condamnée à disparaître. Depuis février c’est chose faite. Les cadeaux de Noël m’ont été l’occasion de revenir musarder entre les rayons du rez-de-chaussée et de l’étage à la recherche de l’oiseau rare parmi les articles de papeterie, objets de bureau, livres d’art, collections de tout type. Je les ai vus s’amenuiser au fil des jours jusqu’au grand vide…
« La Dépêche » nous a fait l’écho de cette fermeture déplorable : « La disparition programmée de la librairie est un nouvel épisode de la mue apparemment inexorable de la place centrale de Toulouse ». Quelques mois plus tôt, c'était au tour de la petite boutique qui vendait de la presse et des albums de bandes dessinées sous les arcades de disparaître. J’ajouterai qu’en 2010, c'est « Mon Caf’ », le café voisin de Castéla, qui s’est vu remplacé par « Sefora » une grande marque de parfumerie.
Tout un pan de ma jeunesse chevillé à ces murs se délite : adieu les lotos gigantesques organisés pour les Fêtes de Fin d’Année, au placard des souvenirs les discussions entre étudiants, bien rangées dans les archives les rencontres philosophiques hebdomadaires. Comme la librairie, tous les immeubles de ce côté de la place appartiendraient désormais au même propriétaire parisien, accusé d’augmenter le prix des loyers jusqu’à les rendre insupportables. La place en perdant ses terrasses et belles vitrines perd aussi son charme…
Heureusement, juste en face, le café Bibent a repris vie après sa fermeture en 2009. Durant deux ans, sa devanture abandonnée, puis recouverte de palissades, m’ont fait craindre le pire : la reconversion en enseigne sans âme ni histoire de celui qui, depuis 1975, était inscrit au titre de « monument historique » pour son décor intérieur.
De génération en génération depuis plus d’un siècle, les toulousains lui étaient fidèles. Selon les Archives Municipales, l’établissement datait des années 1900. Néanmoins, Alphonse Joanne, fondateur des guides de voyages affirme que le Bibent existait déjà en 1862 et qu’il aurait été restauré vers 1881. Le guide paru à cette date en parle comme l’un des plus beaux cafés installés sur la place. Son décor caractéristique de la « Belle Époque » était fort goûté par la bourgeoisie toulousaine pendant l'Entre-deux-guerres.
Il y eut un temps où, tous les dimanches matin, une dizaine de membres de la colonie catalane installée à Toulouse depuis l’exil y avait porte ouverte. C’était dans la grande salle que nous dansions la sardane. Je revois notre ronde de « sardanistes » osciller sous les stucs couleur caramel, mains et visages se reflétant dans les grandes glaces murales. Il y avait toujours un apéritif pour clore la séance. Nous le prenions au bar long et sombre, qui faisait face à la place. Les verres coniques nous y attendaient. C’était souvent du Byrrh que nous dégustions…
Les années 70 furent la période de gloire de l’établissement. Toute l'intelligentsia de la ville se retrouvait aux Jeudis du Bibent. Carlos Pradal, peintre en exil était là tout comme Jean-Emile Jaurès, et Michel Roquebert alors responsable des pages culturelles de « La Dépêche ». Puis le temps et les générations passèrent : le Bibent somnolait jusqu’à faire faillite mais sauvé in extremis par le coup de foudre ou plutôt le coup de coeur de son nouveau propriétaire : « C'est une sorte de retour aux sources. Je suis natif de Montauban, la place du Capitole c'est un peu ma capitale. J'ai fait mon apprentissage chez Delmas, à Montauban. Ensuite, j'ai travaillé dans de grands restaurants parisiens d'où je ne suis plus parti. Je voulais revenir et me faire plaisir en faisant une belle brasserie dans un lieu magique et classé aux Monuments historiques. » (Christian Constant)
C’était il y a un an. Les stucs rehaussés de dorures sont revenus à leurs couleurs d’origine après une restauration inspirée qui a gommé la précédente. Désormais fins gourmets et amateurs de terrasses retrouvent leur emplacement favori au cœur de la ville !