Je reprends le cours de ma conférence sur les peintres modernes espagnols dont je n’avais proposé que le premier volet jusqu’à ce jour. Après l’impressionnisme du valencien Sorolla, j’avais traité du régionalisme particulier des deux frères Zubiaurre .
Les frères Zubiaurre font partie du courant connu sous le nom d’ « Ecole Basque de Peinture » et suivent la tradition de la peinture de genre si priséeau XIX°. Ils utiliseront thèmes paysagers et folkloriques pour traduire, au delà du caractère anecdotique, l’âme du peuple basque. Leur œuvre répond à la demande d’un marché local né avec le développement d’une bourgeoisie basque profondément nationaliste très attachée à sa culture et à son identité.
La petite enfance de Valentin et Ramon se déroule à Garai, petit hameau du Pays Basque niché au creux d’un paysage vallonné et verdoyant. Après la naissance de leur sœur Pilar, le départ de la famille pour Madrid ne rompra pas l’attachement des deux frères à ce lieu qu’ils retrouveront régulièrement. A Madrid leur handicap (tous les deux sont nés sourds-muets) ne les empêche pas d’entrer à l’Ecole des Arts et Métiers et d’y préparer leur admission à l’Ecole des Beaux Arts de San Fernando, la plus réputée de Madrid . Valentin et Ramon très proches en âge y reçoivent une solide formation académique reflétée dans leurs premiers paysages .
Les jeunes gens fréquentent les cercles d’amis de leurs parents, artistes et intellectuels de la « Generación del 98 »( José Ortega y Gasset, philosophe, Juan Ramon Gimenez, poète, Miguel de Unamuno, poète et essayiste, Manuel de Falla, compositeur…). Cette génération se caractérisait par une puissante revendication des vertus qui firent la grandeur de l’Espagne et un questionnement face aux courants du XX° naissant. Les deux frères participent à la création de l’Association des Artistes Basques à Madrid et exposent leurs œuvres au cours des diverses manifestations artistiques qui y seront organisées.
En 1905 ils se rendent à Paris, étape incontournable à toute formation artistique. Picasso s’y trouve déjà en proie à une fiévreuse recherche mais c’est la modernité de Gauguin et Matisse qui va inspirer les deux jeunes artistes. De retour en Espagne les leçons de Paris vont porter leurs fruits. Valentin s’installe à Ségovie attiré par le paysage et le peuple castillan pendant que Ramon reprend ses bagages pour continuer sa formation aux Pays-Bas et interpréter des paysages basques de façon moderne.
Valentín “Autoridades de mi pueblo”1912
Ramón “Autoridades de mi aldea”1912-13
Peinture de genre pour ces deux tableaux qui , se répondant l’un l’autre, traitent décor et personnages de manière à leur donner une dimension symbolique. Tons chauds pour les terres castillanes, fond vert bleuté pour le paysage basque. Visages graves et ascétiques des autorités castillanes, calme bonhomie des basques. L’œuvre de Valentin comme celle de Ramon baignent dans le courant naturaliste de leur formation initiale mais l’usage expressif de la couleur et la stylisation des traits révèlent l’impact des peintres modernes.
A partir de 1913 les frères Zubiaurre vont exposer régulièrement à Madrid et exhausser l’originalité des hommes et traditions basques.
Ramón 1914-1915 “Los remeros vencedores de Ondorroa”
Les concours de rameurs font partie des coutumes basques qui permettent aux hommes de montrer leur force et leur courage. Le peintre choisit de traiter son sujet de manière épurée avec un décor à peine suggéré et un premier plan où s’inscrivent verticalement rameurs et rames accentuant ainsi la fermeté et la détermination des vainqueurs. Au delà de son côté anecdotique le tableau souligne une façon d’être particulière (Comment ne pas penser à « La rendición de Breda » de Vélasquez, connue sous le nom des « Lances » ? Humanité du vainqueur dans son accolade au vaincu, plus forte que l’orgueil de la victoire. Verticalité des lances et rames rendues au réel par le déséquilibre d’une d’entre-elles). Dans ce tableau les couleurs sont utilisées de manière à rythmer l’espace avec des bleus foncés au premier et dernier plan, du blanc au second et en écho des touches jaunes (chemise,mer,nuages). L’ensemble dégage une impression d’harmonie où hommes et paysage sont complémentaires.
Valentín “Bertsolaris” 1916-17
Le peintre nous présente ici un concours de poésie populaire. Les « Bertsolaris » chantent de façon improvisée leurs vers et leur auditoire désigne les meilleurs. L’artiste accentue le caractère fervent du moment en stylisant visages et expressions de manière à dégager émotions et état d’âme du groupe basque. Les couleurs chantent elles aussi, sombre des couleurs ternaires ou éclat des blancs bleutés.
Valentín “Dantzaris” 1918
Jour de fête au village avec danses et musique. Au premier plan les musiciens, en arrière plan les danseurs. L’intention du peintre apparaît clairement. Il ne s’agit nullement de réaliser une série de portraits mais de représenter des arquétypes basques : traits, vêtements, gestuelle des danseurs dans un environnement spécifique : le village basque. Le tableau accroche le regard par sa grande luminosité, blancs des vêtements et façades, bleus des balcons, rehauts des touches rouges des bérêts basques.
Ramón “Pescadores de Ondorroa” 1920
L’œuvre séduit par ses accords orangés qui rythment l’espace. Les personnages traités de façon synthétique focalisent l’attention du spectateur sur les tâches qu’hommes et femmes accomplissent en suivant un ordre immuable. Les très gros poissons du premier plan indiquent une pêche fructueuse. L’ambiance est sereine car le travail en mer toujours soumis aux caprices de l’océan, a porté ses fruits, juste récompense pour ce peuple de pêcheurs rude à la tâche.
Ramón se marie en 1917. Sa sœur cadette, femme de progrès et grande féministe, a épousé un brillant intellectuel, critique d’art de renom, Juan de la Encina. Elle prend en charge Valentin et organise avec lui des réunions et rencontres de jeunes artistes et intellectuels qui formeront la « Generación del 27 ». Federico Garcia Lorca compte parmi les habitués et donne lecture en avant-première de poèmes et pièces de théâtre.
A partir de 1920 et jusqu’en 1936 les deux peintres exposent leurs œuvres en Argentine, au Vénézuela, au Mexique. Suivront les grandes capitales occidentales : Paris, Madrid, New-York, Boston et de nouveau l’Amérique latine : Le Chili, l’Uruguay, le Pérou…
El Temerario Marinero Shanti Andia 1924
Ce tableau de Ramón Zubiaurre est considéré comme la parfaite expression du naturel basque. La composition du tableau s’articule autour d’un jeu de diagonales et verticales traduisant les efforts des matelots pris dans la tempête et la ferme détermination de leur capitaine. Les flots de l’océan en furie s’inscrivent dans des courbes contraires induisant la violence des éléments auquel répond le sang-froid et le courage des hommes. Le peintre utilise les couleurs de façon expressionniste opposant le rouge strident des vareuses aux tons verdâtres de l’océan. Nous assistons au combat que mènent depuis des siècles les pêcheurs en mer sans jamais s’avouer vaincus alors que le naufrage les guette. Le capitaine au visage exempt de toute crispation, se présente à nous comme l’archétype de tous les marins basques et de leur courage.
Ce tableau fut récompensé par le Grand Prix de L’Exposition Nationale des Beaux-Arts à Madrid en 1924. On peut le voir au Musée d’Art Moderne de la capitale.
La Guerre civile espagnole et le franquisme vinrent à bout de l’École Basque et de la pléiade d’artistes et intellectuels qui formait son environnement. Ramón, sa sœur et son mari prirent le chemin de l’exil. Le peintre partit pour le Chili où il reprit son œuvre toujours inspirée par la thématique basque. Valentín resté à Madrid s’y maria en 1942. Deux ans après il fut nommé académicien au sein de l’Académie Royale des Beaux Arts de San Fernando. Sa position lui permit de faire revenir son frère. Pilar préféra rester au Mexique où elle mourut en 1970 sans avoir jamais remis les pieds en Espagne.
Ramón mourut un an avant, en 1969, six ans après son aîné. Avant de mourir il demanda à être enterré avec un peu de terre basque et un gland provenant du chêne séculaire de Guernica, la ville martyre, afin qu’il germe et qu’un arbre puisse naître sur sa tombe…