Voici la bibliographie du peintre Vélazquez que j'ai présentée à la Casa de España en commentant les peintures qui l'illustraient. L'album "Peintres Espagnols " présente l'ensemble des oeuvres auxquelles je me réfère dans mon article. Les milles facettes du génie de Vélazquez s'y reflètent : portraitiste consommé, peintre animalier,scènes de genre,nature morte, peinture religieuse, thèmes mythologiques, témoignage historique, mises en scène complexes sous une apparente simplicité, élégant et profond réalisme, palette chatoyante..."Le Peintre des rois et le Roi des Peintres" referme magistralement à Madrid le Siècle d'OR que Le Gréco avait ouvert à Tolède. Deux capitales pour l'aube et le crépuscule du Baroque Espagnol.
L'art de Velazquez
«Entre toutes, la manière de Vélazquez est personnelle. On a beaucoup parlé à ce propos de ses procédés, "de ces mystérieuses conjurations" dont, suivant Burger, il aurait gardé le secret. La façon d'aborder l'exécution de son œuvre n'appartient qu'à lui. Quel autre oserait, comme il le fait, jeter sa composition sur la toile, le plus souvent sans études, sans esquisses préalables? Il ne se refuse jamais à améliorer son œuvre au cours de l'exécution et les nombreux repentirs dans ses tableaux le prouvent. Mais la nécessité où il est de se presser l'oblige à employer de son mieux les courts instants qui lui sont accordés par ses modèles. »
ÉMILE MICHEL, «Diego Velazquez», Revue des Deux Mondes, Paris, 1894.
VELAZQUEZ Rodriguez De Silva (Diego), peintre espagnol, né à Séville en 1599, mort à Madrid en 1660, était issu d'une famille noble, d'origine portugaise, mais établie déjà depuis un siècle à Séville.
Après avoir étudié quelque temps les lettres, Velazquez manifesta son désir d'être peintre; ses parents ne s'y opposèrent point. Il reçut ensuite les leçons de Pacheco l'auteur de l'Arte de la Pintura. L'élève sut de bonne heure faire preuve d'indépendance et d'initiative. Il n'écouta point son maître qui n'avait d'autre idéal que l'imitation du style des Italiens, et se traça un plan d'études qu'il suivit rigoureusement. Il ne dessina et ne peignit qu'à l'aide du modèle et de l'observation directe de la nature. De là ce rendu littéral et serré qu'on remarque dans ses premières études: nature morte ou figures d'expressions variées. Ses premières compositions apparaissent de 1618 à 1623 et se caractérisent par l'usage de clair-obscur alors que dans la décade précédente RUBENS achevait sa fameuse Descente de Croix.
Il faut noter l'introduction comme modèles préférés des types populaires et familiers, choix qui convenait bien à son tempérament réaliste. Parmi ces peintures de genre tout-à-fait remarquables on retiendra:
Le Marchant d'eau de Séville 1618
En 1618, Pacheco, pressentant sans doute le grand avenir réservé à celui qu'il appelait complaisamment son élève, lui donnait sa fille en mariage, alors que Velazquez n'avait que dix-neuf ans. De cette union, qui fut heureuse, naquirent deux filles. La plus jeune mourut en bas âge; l’aînée devint plus tard la femme du peintre Mazo, l'élève préféré de Vélazquez.
Sur les conseils de son beau-père, le jeune maître entreprit, en 1622, de se rendre à Madrid. Il fut présenté au comte-duc d'Olivarès, le favori et tout-puissant ministre du roi Philippe IV de Habsboug. Vélazquez étudia les riches collections royales, visita l'Escurial et Tolède, et fit quelques portraits, notamment ceux des célèbres poètes et pamphlétaires Gongora
et Quevedo .
Il retourna ensuite à Séville où bientôt vint le chercher l'ordre pressant du comte-duc de rejoindre la cour à Madrid pour exécuter le portrait du Roi Felipe IV . Au portrait du roi succéda celui de l'lnfant don Carlos. L'un et l'autre sont de la plus haute tenue, très physionomiques et d'une grande distinction. Ces beaux portraits, exécutés de 1623 à 1625, enchantèrent Philippe IV qui confirma la nomination de l'artiste dans son titre de «Peintre de la Chambre Royale».
Dans ces portraits on peut apprécier le naturel, l'élégance et la noblesse qui sont à l'opposé des peintures de Cour précédentes flatteuses et ostentatoires.
Jaloux de cette faveur naissante, les peintres de la Cour prétendirent que Velazquez n'était point apte à entreprendre de grandes compositions .
Philippe IV, prêtant l'oreille à ses insinuations, imagina alors d'ouvrir un concours pictural. Velazquez l'emporta sans contestation possible sur tous ses rivaux. Aucun artiste ne s'avisa plus dès lors de discuter la supériorité de Vélazquez, déjà en possession du privilège de peindre lui seul les personnes royales. Ses portraits, à quelque époque qu'ils appartiennent, sont autant de pages historiques, tant il a apporté de justesse d'observation et d'intensité de pénétration à rendre les traits physionomiques des descendants de Charles-Quint.
En 1628 RUBENS vint à Madrid en ambassade. Son séjour se prolongea durant neuf mois, et c'est Vélazquez qui, d'après les ordres du roi, le reçut. Ils partagèrent le même atelier, visitèrent ensemble les palais et les collections royales et se lièrent de la plus étroite amitié. Suivant le conseil de Rubens, Vélazquez résolut d'entreprendre son premier voyage en Italie, avec le désir d'accroître ses connaissances artistiques en étudiant les chefs-d'oeuvre de la renaissance italienne. En1629, il entreprend son voyage en Italie où il se familiarise avec la peinture du TINTORET et du TITIEN . Il passe plusieurs mois à Rome où il exécute deux petits tableaux de la Villa Médecis, deux délicieuses vues prises dans les jardins et qui sont des morceaux de premier ordre. Cette même année Vélazquez termine Le triomphe de Bacchus après études préalables.
On sent dans cette peinture, d'un si complet réalisme, la tournure d'esprit étrangement ironique avec laquelle l'artiste traite et traitera les sujets mythologiques ou prétendus tels. Les trognes illuminées des ivrognes qui entourent Bacchus sont un sommet de trivialité dans l'art du portrait .
La Forge de Vulcain, importante composition exécutée à Rome, montre combien Vélazquez s'inquiète peu du côté traditionnel et mythique de son sujet; il semble plutôt n'y voir qu'une scène familière, un fait brutal et réel qu'il interprète à sa manière, dans un parti pris de réalisme absolu. Quoique drapé à l'antique et tout dieu qu'il soit, Apollon n'apparaît ici que comme un messager , s'acquittant au mieux de sa mission. Quant à Vulcain et à ses compagnons, ce ne sont que de vulgaires forgerons étudiés sur le vif. Sur le plan technique on notera l'utilisation innovante de l'élipse pour créer la perspective.
Dès son retour à Madrid en 1631, Vélazquez eut à faire un portrait du roi. De 1635 à 1638, il réalise les vivants portraits de l'Infant Balthazar Carlos, âgé de six ans, de Philippe IV et de son frère l'Infant D. Fernando, représentés tous trois en costumes de chasse dans des paysages montagneux.
Le superbe portrait de l'héritier du trône, l'Infant Balthazar Carlos, le montrant galopant sur une petite jument bai clair et tenant à la main le bâton de commandement, date, à peu d'années près, de la même époque.
Déjà l'artiste est en complète possession de toutes les ressources de son magistral talent, et c'est toute une suite de chefs-d'œuvre qu'il va maintenant produire coup sur coup. Philippe IV eut cependant, pour la plus grande gloire de son peintre, une plus heureuse et plus louable inspiration le jour où il lui commanda de commémorer dans un grand ouvrage le seul succès important remporté par les armées espagnoles dans les Flandres, la Prise de Breda(1635), oeuvre géniale et unique dans l'ordre des sujets historiques, et aussi simple, originale et saisissante de composition que pleinement harmonieuse dans les coloris et la largeur d'exécution. Le groupe principal, encadré entre les deux armées réunies en rase campagne, nous laisse voir les deux généraux, Justin de Nassau et Spinola, s'abordant avec la plus extrême courtoisie. Justin de Nassau présente à son vainqueur les clefs de Breda que Spinola reçoit, la tête découverte, à demi incliné, et une main amicalement posée sur l'épaule du général hollandais qu'il complimente pour sa belle défense. L'attitude de ces deux personnages, leurs gestes, tout dans cette scène, à la fois noble et familière, est de la plus parfaite justesse et de la plus naturelle aisance: c'est l'image même de la vie saisie et rendue dans sa vérité absolue. Dans ce tableau de très grande taille le peintre non seulementexcelle dans la perspective mais réussit à donner l'illusion du mouvement.
En 1639, il achève le Christ en croix, si tragique et si poignant dans son humanité crucifiée. On raconte que saisit par la perfection de la moitié du visage du Christ qui apparaissait sous ses pinceaux, Vélazquez n'osa pas continuer et recouvrit l'autre moitié d'une mèche de cheveux.
Autour des années 1640-42, il jette sur la toile cette incomparable représentation équestre du Comte-Duc d'Olivares, dressant son cheval de bataille en avant de son armée.
En 1644, Vélazquez suivit le roi en Aragon; Philippe IV avait pris le commandement de ses troupes; il assiégeait Lerida, s'en emparait et faisait dans cette place une entrée triomphale. Ce fut pour l'artiste un nouveau prétexte à créer un nouveau chef-d'œuvre. Nous voulons parler de ce fier portrait, un des purs joyaux du musée de Prado, où il a représenté Philippe couvert d'une demi-armure d'acier bruni traversée d'une écharpe rose et monté sur son cheval de bataille, le bâton de commandement à la main. Trois autres grands portraits équestres, exécutés pour le palais du Retiro, furent entrepris postérieurement ce sont ceux de Philippe III, de sa femme Marguerite d'Autriche, et d'Elisabeth de Valois, la première femme de Philippe IV.
Pour distraire le roi qui aimait beaucoup à le voir peindre, Vélazquez prit pour modèle le nain El Primo qui avait suivi la cour en Aragon; il le représenta vêtu de noir, coiffé d'un chapeau aux larges ailes, assis dans la campagne et feuilletant un gros livre. Ce portrait d'une exécution simple, sobre, franche et d'une si admirable intensité de vie, évoque l'étrange série de ces effigies falottes de nains, de bouffons, qui peuplaient alors les antichambres du palais et que Vélazquez exécuta successivement pour le plus grand plaisir de Philippe IV.
En 1650 Vélazquez fut chargé par le roi de se rendre en Italie pour y acquérir des peintures et des statues destinées aux embellissements de l'Alcazar. Pendant son séjour à Rome, il produisit cet autre grand chef-d'œuvre merveilleux d'exécution et de pénétration intuitive Portrait du pape Innocent X qui qualifia son œuvre de « tropo vera » et dont on a dit qu'elle est une symphonie qui se décline du rouge au blanc.
En 1654, Vélazquez regagnait l'Espagne et, peu de temps après, le roi le nommait aposentador, charge écrasante par les multiples devoirs qu'elle entraînait, et qui eût suffi à elle seule à absorber tout son temps. Malgré tout il trouva encore le loisir de peindre de nombreux et superbes ouvrages, tels que le dieu Mars et la Venus au Miroir
Puis des portraits des personnes royales dont celui de l'Infante Marguerite
representée enfant puis toute jeune fille en luxueux habit de cour.
Velazquez ne peignit guère de sujets religieux. En dehors de ceux qu'il avait exécutés dans sa jeunesse dont le Couronnement de la Vierge (1618)
Toute la dernière période de la carrière de Velazquez est comme jalonnée par une succession de chefs-d'œuvre de la plus libre et surprenante exécution, attestant ainsi que le génie du peintre était sans cesse allé en s'élargissant . Comme nul autre il saisit l'essence de l'apparence, l'impression des choses, l'illusion, le vide...Nous sommes au coeur de la pensée baroque résumée par le titre du chef d'oeuvre du dramaturge CALDERON DE LA BARCA "La vida es sueno y los suenos suenos son"(La vie n'est qu'un rêve et les rêves ne sont que des rêves).
Parmi les productions les plus magistrales se placent le tableau qu'on nomme Les Ménines (1656) où Vélazquez s'est peint lui-même au milieu de la famille royale et faisant le portrait de la petite infante Marguerite entourée de ses demoiselles d'honneur et de ses nains.
Les célèbres Fileuses(1657) sont de la même veine.
Dans ces tableaux le dessin n’a pas de tracé, la clarté n’est que clair obscur, l’ombre pénombre et l’instant devient éternel. L'air et l'espace règnent. Par un jeu de paradoxes nés de la présence d'un miroir pour l'un , d'une arrière salle pour l'autre, Vélazquez crée l’illusion du réel. Or ce n’est pas la réalité qui est représentée mais une construction intellectuelle où maîtrise technique, savoir et esthétisme se conjuguent."El primor consiste en pocas pinceladas obrar mucho,no porque las pocas no cuesten, sino que se ejecuten con libertad,que el estudio parezca acaso y no afectación" (Velásquez)( la beauté consiste en peindre avec peu de coups de pinceaux, non pas parce que peu est plus facile, mais pour oeuvrer plus librement et donner l'impression d'une réalisation naturelle dépourvue de toute affectation).
A l'occasion de la cérémonie du mariage de Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse,Vélazquez fut chargé du soin de préparer les logements du roi et de la cour de Madrid à Fontarabie (Fuenterrabia) et de diriger la décoration du pavillon construit pour la rencontre des deux rois. Chaque aile de ce pavillon avait été ornée par chacune des deux nations de superbes tapisseries et de meubles somptueux. Vélazquez s'acquitta de sa tâche avec le goût le plus exquis et fut vivement complimenté par les deux rois. Mais les fatigues du voyage et les soucis des devoirs de sa charge eurent pour résultat de lui causer une fièvre violente. Il put cependant revenir à Madrid où, le mal empirant, il mourait dans sa soixante et unième année. Huit jours après son épouse Maria Pacheco, le suivait dans la tombe.