Drapeau de la République Espagnole 1939 ( Front de l'Ebre). Conservé au Museo de la Guerra Civil (TABAR, Navarra)
In memoriam Ana SERRA BORRELL , ma mère, réfugiée de l’Exil Républicain Espagnol . Anonyme entre toutes, sa vie comme celles de beaucoup de femmes de la Retirada affleure dans le dernier Prix Goncourt 2014 « Pas pleurer » de Lydie Salvayre (1). La présence de l’écrivaine au « Marathon des Mots » de Toulouse ce mois de juin 2015 est pour moi l’occasion de convoquer sur mon blog , en toute modestie, l’Histoire dont les miens furent un des maillons.
Il y a 75 ans la toute jeune République espagnole succombait après 3 années de guerre civile et un million de morts. Le général Franco prenait le pouvoir le 1°avril 1939 . Barcelone et Madrid derniers bastions républicains avaient capitulé à trois mois d’intervalle. Le Généralissime installait alors en Espagne un régime qui allait durer jusqu’à sa mort en 1975.
La République Espagnole (dentelle d’Ana Serra Borrell, 55x45cm) Musée de la Dentelle – Arbos del Penedès – Catalogne
L’Espagne de Juan Carlos I a rendu hommage en 2009 aux 300 000 personnes, civils anéantis et soldats défaits, qui franchirent la frontière pour se réfugier en France. De nombreuses manifestations se sont alors déroulées , à l’initiative des dirigeants et élus espagnols, pour rendre hommage au sacrifice des militants démocrates vaincus. Toulouse, que l’on surnomme « L’espagnole », s’est elle aussi souvenue en organisant plusieurs manifestations commémoratives.
En Catalogne il existe désormais «La route de la Retraite et les chemins de l’Exil» (Itinerari Retirada i Camins de l’Exili) reliant Figueras-Rosas-Port Bou-Le Perthus-Puigcerda. L’itinéraire passe par 17 municipalités qui chacune ont été témoins de la dramatique débâcle , des deuils et souffrances endurées par les vaincus lors du glacial hiver 1939
Figueras fut la dernière ville où s’établit pour quelques jours le gouvernement républicain espagnol présidé par le Président Manuel Azaña , sous les bombardements incessants de l’armée franquiste qui y fit un carnage.
La Jonquera vit s’agglutiner des milliers d’hommes, femmes , enfants et vieillards avant que les autorités françaises autorisent l’ouverture de la frontière du Perthus le 28 janvier pour les civils et le 5 février pour l’armée en déroute.
Llansa sur la côte, depuis le début des hostilités en 1936, accueillait des orphelins de guerre . La bourgade devint le passage obligé de ceux qui s’enfuyaient par Port Bou pour se réfugier en France . Le poète Antonio Machado mourut d’épuisement à Collioure . Sa sépulture est toujours là et honorée chaque année par membres et amis de la Fondation Antonio Machado. Elle est devenue un lieu de pèlerinage pour des milliers de visiteurs venus de France, d'Espagne comme du reste du globe.
Plus au sud, Perelada , connue aujourd’hui pour ses vins blancs et son Château-Casino-Théâtre, abrita l’Etat-Major républicain dès 1938 et fut un centre d’assemblage d’avions (pièces venues de France à l’initiative d’André Malraux, un des fondateurs des Brigades Internationales qui soutenaient les milices armées républicaines).
Une rescapée de l’exode témoigne dans La Dépêche du Midi (29-06-09) : «Nous sommes partis sans rien. Ou presque. À pied, en camion et en train ... Au fur et à mesure, avec la fatigue, on jetait tout… on ne mangeait pas. Les hommes et les femmes avec les enfants étaient séparés (par les gendarmes). Ensuite on nous a dispatchés dans les villages voisins»… et surtout dans les centres de rétention devenus de véritables camps de concentration comme Argelès, Saint-Cyrien Plage, Le Bacarès, Rivesaltes, Bram, Agde, Le Vernet, Noé, Septfons …
L’Administration française était débordée. La guerre avec l’Allemagne, le combat contre les forces de l’Axe ont permis aux réfugiés de s’enrôler ou de remplacer la main d’œuvre partie au combat : «On a toujours vécu ici avec le but et l'espoir de revenir en Espagne. Au début on n'a pas ancré notre vie à Toulouse. Il a fallu vivre malgré tout, et ça a été très dur. On croyait que la France nous aiderait à lutter contre le franquisme. Il a fallu attendre quarante ans…».
D’autres se sont expatriés au Mexique, au Maroc, en Angleterre ou en Union Soviétique.
Beaucoup ont rejoint les forces de la France Libre ou les maquis : «Nous avons gagné la carte de la reconnaissance seulement à la Libération de Toulouse ; jusque-là, on était des rouges, des diables, des révolutionnaires… quand ils ont vu qu'on a fait la lutte à leur côté pour libérer Toulouse des Allemands, le regard a changé... Et puis, il y a eu notre comportement, notre façon de vivre, de nous exprimer. On s'est dépêché d'apprendre le français, on avait aussi notre culture à partager. Tous les dimanches, on se retrouvait entre exilés républicains au Jardin des Plantes et place du Capitole, sur le macadam près du Square Wilson…».
Toulouse, dès la Libération, devint le siège du gouvernement de l'Espagne républicaine en exil. Elle était le lieu de rencontre des partis politiques interdits par le franquisme et la matrice de l’esprit de résistance au régime.
Les Espagnols de Toulouse ont eu des enfants qui ont été à l'école laïque et ont fait des études. Sur les 200 000 réfugiés qui transitèrent par Toulouse, 20 000 s’y installèrent : «de citoyens à part, on est devenu des citoyens à part entière. Toulouse est devenu notre terre d'adoption, la France notre patrie d'adoption». Odyssud, salle emblématique de Blagnac connue pour ses spectacles et expositions avait, dès 2002, reconnu l’apport des artistes exilés en organisant une grande exposition rétrospective sur «Les artistes de l’exil».
Sculpture de Joan Jordà en mémoire de l’Exil Républicain et adossée à la Casa de España (Jardin Claude Nougaro)
1)
En Juin 2009 «La Dépêche» du Midi titrait : Moment d’émotion
«À l'occasion du 70e anniversaire de la Retirada, la Ville de Toulouse a adressé un geste fort et symbolique en direction des anciens exilés espagnols, de leurs enfants et petits-enfants en offrant un vrai lieu de mémoire».
Le 28 juin 2009 une plaque portant «Toulouse capitale de l'exil républicain espagnol» rappelle désormais le rôle politique que joua pour les réfugiés l'immeuble historique de la rue du Taur, tour à tour siège de partis politiques, lieu de réunions, scène de théâtre et de danse, ex-cinéma Espoir, et aujourd’hui Cinémathèque de la Ville.
Dans la foulée il y a eu aussi l'inauguration du Quai de l'Exil-républicain espagnol, sur le Port Viguerie. Le drapeau républicain a longuement ondoyé sur la foule nombreuse venue recevoir avec chaleur cet hommage et participer aux festivités qui marquèrent la soirée pendant que le drapeau jaune, rouge et violet de la République espagnole flottait au balcon du Capitole aux cotés de celui de l'Espagne actuelle car pour le Maire «ces deux emblèmes ne s'opposent pas mais s'additionnent. La république d'hier et la monarchie d'aujourd'hui ont fusionné dans un même creuset, celui de la démocratie retrouvée ».
Ainsi va l’Histoire…Sur le bord des chemins qu’elle trace, les racines, de ceux et celles qui les perdirent ou les virent mutilées, s’enfoncent et se refont : « Pas pleurer » !
Pas pleurer ? À peine sont-elles enracinées qu’arrivent de nouveaux flux aux racines coupées, broyées, détruites …Pas pleurer ?
1) Lydie Salvayre , de son vrai nom Lydie Arjona, avant de devenir romancière, a été psychiatre. Les lois de la mémoire traumatisée, de l'amnésie sélective, mais aussi de la résilience, n'ont pas de secrets pour elle. Son roman trouve en partie sa source dans l'enfance de l'écrivain, élevée par des parents républicains espagnols en exil.