Cette année pour la troisième fois j’ai pu assister à la grand’ fête (« Festa Major ») de Vielha où je passe l’été. La première année j’ai beaucoup regardé et comparé mentalement ce que je voyais avec mes souvenirs des « Festes Majors » de l’Ampordan ou du Penadès. Pas de tours humaines (« castells »), pas de géants ni de grosses têtes , pas de diables ni de dragon crachant le feu, mais des danses folkloriques en costume traditionnel accompagnées par le son aigrelet d’une chevrette : j’étais en Comminges ! La seconde année j’ai beaucoup photographié et filmé pour mes archives personnelles et cette année j’ai décidé de mettre sur mon blog cette « Festa Major » et ce que j’ai appris à son sujet.
Tout a commencé le 7 septembre par un cercavila c’est à dire un tour de ville par tous ceux qui allaient animer cette fête jusqu’au 11 septembre. Les participants ont défilé à grand renfort de sifflets, roulements de tambour, pétards, déguisés pour certains suivant le mot d’ordre de leurs penyes (bandes) respectives, endimanchés pour d’autres, entourés de grappes d’enfants très excités. En tête de cortège le carrosse de la Reine de la Fête (« la pubilla ») et ses demoiselles d’honneur.
Arrivés sur la place de l’Eglise San Miqueu au cœur de la ville, tous se sont arrêtés le temps d’entendre le maire souhaiter une bonne fête à tous : « Em plai informar-vos de que a la festa d’enguany hi han importants novetats però sempre respectant les tradicions » (« J’ai le plaisir de vous annoncer que la fête de cette année comporte des nouveautés mais reste fidèle à nos traditions »).
En effet le cercavila fait partie des traditions des Festes Majors tout comme le discours du maire et la procession et messe du lendemain. Ces fêtes remontent en Catalogne au XIII° siècle avec comme point d’ancrage la dévotion au Saint Patron du lieu ou à la Vierge Marie. A Vielha la date choisie, le 8 septembre, est celle de la naissance de la Vierge. Des manuscrits du XII° sous le règne d’Alphonse le Chaste (Alfons el Cast 1162-1196) font état du culte marial à la Verge de Mig Aran qui voyait affluer dans sa chapelle en bord de Garonne, à la sortie de Vielha, une foule de fidèles aranais. Après la messe,la trobada (rencontre) était suivie de danses et agapes en présence de la statue de la Vierge.
Santa Maria de Mig Aran (Statue polychrome) et chapelle du XII° restaurée
La tradition rapporte que cette statue fut trouvée en des temps très lointains dans un pré où une jeune bergère amenait paître quelques maigres vaches. Cette sculpture devenue objet de culte disparut dans des circonstances mystérieuses et fut remplacée au XVI° par l’œuvre d’un artiste qui reproduisit à l’identique, en bois polychrome, la vierge romane. Au début du XIX° lorsque les troupes napoléonienne entrèrent au Val d’Aran, les soldats pillèrent et incendièrent maintes bourgades et, à Mig Aran, ils jetèrent à la Garonne la statue vénérée en espérant que les flots l’emporteraient au loin. Il n’en fut rien : la statue devenue aussi lourde qu’une masse de plomb resta fichée dans le lit de la rivière. Pris de peur, soldats et habitants décidèrent de la ramener dans sa chapelle et, oh miracle ! les bras d’un seul homme suffirent à la sortir de l’eau…
En 1936 au début de la Guerre Civile, la Vierge fut détruite, sa chapelle aussi, en 1938, lorsque transformée en dépôt de munitions pour cause de guerre, elle explosa. Il fallut attendre 1941 pour qu’on en fasse une nouvelle copie de la Vierge, placée depuis lors au pied de l’autel de l’église de Vielha.
Connaissant cette histoire je comprends mieux pourquoi la procession du 8 septembre, conduite par les autorités de la ville et la Reine de la Fête, suivies de toute une foule avançant au son de paso-dobles de circonstance , part de la Place de l’Eglise pour aller à Mig Aran assister à la messe solemnelle dans l’église contemporaine accolée aux ruines de la vieille chapelle.A midi fidèles ou mécréants se retrouvent sur la Place de l’Eglise San Miqueu pour assister à la démonstration de danses folkloriques régionales faites par les deux troupes amateurs de la ville : Els Fadrins de Vielha (les Jeunes de Vielha) et La Còlha Sta Maria de Mijaran (La Troupe Ste Marie de Mi-Aran)
Sur la Place de l'Eglise le folklore aranais
En fin d’après-midi les penyes traversent la ville en vociférant, avec leurs déguisements caricaturaux, instruments de musique désaccordés en lieu et place des manifestations traditionnelles catalanes. Comme le veut le calendrier des fêtes la journée se termine par un bal avec orchestre.
La Festa Major telle qu’on peut la voir se déroule suivant un schéma adopté il y a une cinquantaine d’années enrichi les deux jours suivants (10 et 11 septembre) par l’apport culturel catalan avec concert d’Havaneres et Ballada de Sardanes.
Les havaneras sont un élément incongru au sein des montagnes. Ces chansons de marins sont nées en bord de mer, pour beaucoup sur la Costa Brava (Palafrugell) et empruntent leur rythme aux musiques venues de Cuba (La Havane) lorsque l’île était espagnole.
Les sardanes, nées en Ampordan, sont elles aussi des pièces rapportées par rapport à la culture aranaise. Peu d’habitants autochtones de Vielha savent les danser et encore moins en compter les pas.
Copla et sardanistes
L’avant-dernier jour de la fête reprend au matin une tradition moyenâgeuse consistant à offrir « per caritat » quelques victuailles aux fidèles. La Municipalité offre donc à tous petit déjeuner à 9h puis apéritif à 11h avec sangria, moscatel, anis et coques (gâteaux). Vient ensuite la descente de la rue la plus pentue de la ville par les jeunes des penyes roulant sur eux-mêmes, glissant à qui mieux mieux sur un sol pavé mouillé à l’eau savonneuse au son d’une xaranga (bande musicale) tonitruante…
Le dernier jour, le 11 septembre, coïncide avec la fête nationale catalane mais celle-ci s’efface au profit des dernières réjouissances de la fête locale, jeux pour enfants, manèges, cinéma gratuit, bal, loto et feu d’artifice. Autrefois ce dernier jour permettait aux jeunes gens d’honorer leur promise en portant dans leur chambre du chocolat chaud fait avec du lait de brebis, volé la veille en quelque bergerie, et apporté de nuit à l’élue .
Cette année de nombreuses activités et manifestations ludiques ont « rajeuni » la tradition permettant ainsi à la jeunesse de Vielha et des villages environnants de s’approprier chacune des journées pour la plus grande satisfaction de ceux qui aiment « faire la fête » même en excès !
Affiche Festa Major 2015