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Flamenco

 L'Andalousie, terre flamenca aux trois pôles : Grenade,Séville, Cordoba

 

Avril, Mai et Juin sont les mois où les « Fiestas Flamencas » se succèdent en Andalousie. Je suis donc encore à temps pour les rappeler et évoquer ensuite les gitans et le flamenco. Ce genre est inscrit au patrimoine Immatériel de l’Humanité depuis 2010 et a même une  Journée Internationale le 16 novembre.

La saison « Flamenca » démarre lors de la « Feria de Abril » à Séville et s’épanouit de ville en ville, semaine après semaine . Jerez, Córdoba, Cadiz, Ronda, Utrera, Lebrija ,Grenade vivent au rythme des festivals flamencos ou des fêtes populaires animées par les grands noms de familles gitanes : Amaya, Montoya,Flores, Vargas… car ce sont bien les gitans qui sont au cœur d’un « Art » qui s’exprime par le chant et la danse même si certains « payos » (non gitans) ont une fibre flamenca incontestable.

Au fond Séville...

 

FlamencoFlamenco

Maurice OHANA dit : « C’est le peuple « Calé » , le dernier arrivé en Andalousie dans les migrations du XV° siècle, qui a capté dans une synthèse fulgurante les racines lointaines et cachées de cet art ». Chant et danse transmis de génération en génération par le peuple Calé  (c’est ainsi que se nomment les Gitans) qui a conservé ses traditions mais aussi une mémoire collective remontant à plusieurs siècles en arrière et se situant dans une région du Nord-Ouest de l’Inde, vers le Pakistan.

Au V° siècle les « shitans » étaient déjà chanteurs et danseurs et animaient les salons de musique des Maharadjas . La tradition rapporte qu’ayant déplu aux puissants qu’ils distrayaient, il durent quitter le sol indien  au début du IX° siècle. Devenus nomades on les retrouve christianisés en Perse au X° siècle jusqu’à l’invasion des Turcs au XIII°. Leur langue, le calé, a gardé de cette époque des termes en sanscrit comme « Deva » devenu « Debla » ou persans, présents dans certains chants gitans qui illustrent leurs seuls trésors: la musique et la danse. Le XIV° sera un siècle d’errance à travers le Caucase, l’Arménie, la Turquie, jusqu’à arriver en Grèce et se regrouper dans le Péloponnèse, appelé alors « Petite  Égypte » puisque anciennement habitée par des Égyptiens. Là aussi des mots  comme « toná »  issu du grec « tonos » se retrouvent dans leurs chants.

 

 

Au XV° siècle la prise de Constantinople par les Turcs les pousse vers un nouvel exode. Sigismond de Bohème leur offre asile puisqu’ils sont chrétiens mais certains devenus viscéralement nomades descendent plus au Sud. La papauté protège dans leur périple, ces « bohémiens » très catholiques. En 1425 Alphonse V le Magnanime, roi d’Aragon, leur accorde un sauf conduit pour passer les Pyrénées. Revendiquant leur Foi en la Sainte Église, ils s’inventent une noblesse issue de la « Petite Égypte » (qu’ils expriment  par les termes « Faraon ou Faraona»)  et deviennent des « Gypties » . Ils vivent au rythme de leur transhumance et souvent de rapines, mais aussi de leur musique et danses qu’ils ont enrichies pendant des siècles d’apports autochtones.

En 1470 ils arrivent en Andalousie que les Rois Catholiques soustraient peu à peu du joug arabe et après la chute de Grenade en 1492, ils s’installent définitivement près des mauresques vaincus sur les terres reconquises.

 

Sous le règne de Philipe III, au XVII°, commencent les temps de la persécution les gitans trainant avec eux une très mauvaise image que Cervantès résume ainsi :

« Il semble que les gitans ne soient venus au monde que pour être des voleurs : ils naissent de parents voleurs, ils grandissent avec des voleurs, ils se forment pour être voleurs, et finalement sont des voleurs accomplis avec une envie de voler qui ne disparaît qu’avec la mort » (Extrait traduit de « La gitanilla » 1613).

Les gitans perdent le droit au travail et sont assignés à résidence. Seules quelques familles pouvant justifier de fils s’étant battus en Flandres pour le Roi , obtiennent des dérogations. Les archives parlent d’eux sous le nom de « Flamencos » . Ces derniers ont le droit d’exercer quelques métiers : ferronniers, chaudronniers, vanniers… mais les persécutions continuent et les gitans considérés comme des hors-la-loi connaissent prison, bagne, travaux forcés en particulier dans les mines andalouses. Leurs chants se chargent de douleur. Le « Cante Jondo » (chant profond) nait du malheur de ce peuple épris de liberté, qui longtemps s’est défini comme « fils du vent » et qui n’a plus que la voix pour exprimer sa détresse, la pena, peine existentielle, à travers la « debla  » chantée sans guitare, ou la « toná » accompagnée, ou le « martinete » soutenu par le tintement métallique d’un marteau, mémoire sonore de la forge ou de la mine.

El grito

 

La elipse de un grito

Va de monte

 A monte

Desde los olivos

Será un arco iris negro sobre la noche azul

¡Ay !

Como un arco de viola

El grito ha hecho vibrar

Largas cuerdas del viento.

¡ay !

(Federico Garcia Lorca « Poemas del cante Jondo »)

 

 (Le cri/ L’ellipse d’un cri/ va de colline en colline/Depuis les oliviers/ il se tend arc –en-ciel- noir /sur la nuit bleue /Ay !/ tel un arc de viole/ le cri a fait vibrer / les longues cordes du vent)

 

La répression du XVIII° au XX° siècles
La répression du XVIII° au XX° siècles
La répression du XVIII° au XX° siècles
La répression du XVIII° au XX° siècles
La répression du XVIII° au XX° siècles

La répression du XVIII° au XX° siècles

Malgré la discrimination dont les gitans font l’objet, leurs chants, musiques et danses sortent de l’ombre et éclatent au grand jour au XIX° poussés par l’engouement des Romantiques Français pour l’Espagne. En fait c’est l’Andalousie et son peuple gitan maudit et rebelle aux lois qui est la grande pourvoyeuse de leur Espagne fantasmée. Prosper Mérimée, Théophile Gautier, Gustave Doré, et plus tard Claude Debussy ou Maurice Ravel connaissent tous leur heure espagnole. Dans l’imaginaire français s’ancre en profondeur le processus d’identification de l’Espagne à l’Andalousie, du flamenco au gitan .

Le Flamenco fascine ces artistes car, dans son expression chantée ou dansée, il est comme le feu, tour à tour ardent, sensuel, chaleureux, lumineux mais aussi rageur, tourmenté, implacable, inapprochable…Il brûle mais ne se consume pas. Son démon, le duende, habite celui ou celle qui l’exprime par son art. Il coule dans son sang dès la naissance et ne s’apprend pas. Bien sûr le XX° siècle verra s’ouvrir des écoles de Flamenco (« Academias ») en Espagne et ailleurs mais sans le duende la formation ne débouche que sur une expertise sans entrailles et dénuée d’âme. Le flamenco se tête au berceau, grandit dans les clans gitans qui en sont dans une grande mesure  les créateurs et diffuseurs.

El baile (La danse)
El baile (La danse)
El baile (La danse)

El baile (La danse)

La mode du gitanisme se répand dans toute la société espagnole tout au long du siècle, et finit même par être récupérée par le Franquisme qui, après avoir poursuivi les tous les indésirables de la société dont les gitans,  portera au pinacle certains de ses artistes au service de ce que leurs détracteurs ont appelé le « national-flamenquisme » !

Le Flamenco au cinéma et au théâtre dans les années 50Le Flamenco au cinéma et au théâtre dans les années 50

Le Flamenco au cinéma et au théâtre dans les années 50

Mais revenons au XIX°  plus exactement à son dernier tiers, l’époque  qui voit fleurir les cafés cantantes, cafés concerts qui proposent aux clients des prestations flamencas. Calés et Payos s’y produisent, rivalisant de talent et créativité pour montrer aux yeux de tous les mille et une facettes de ce genre si particulier.

Cantaores (chanteurs), Bailaoras (danseuses) et guitaristes, déploient les branches du vieil arbre flamenco mêlant tradition et improvisation dans un « Cuadro flamenco ». 5 catégories de chants y ont la part belle : Debla, Toná, Soleá, Seguiriya  et en danse : Farruca, Granadina, Petenera, Sevillana, Bulería,…Selon le degré d’allégresse ou de tristesse chants et danses se répartissent en deux grandes branches : el « genero grande »  et el « genero chico ».

Au début du XX° siècle le flamenco monte sur scène et devient « Tablao Flamenco ». Il se professionnalise en même temps qu’il se frelate malgré l’excellence des voix et la fougue des danseuses.

Du "Café cantante" aux "Cuevas" du Sacromonte à Grenade en passant par une gloire du cinéma muet
Du "Café cantante" aux "Cuevas" du Sacromonte à Grenade en passant par une gloire du cinéma muet
Du "Café cantante" aux "Cuevas" du Sacromonte à Grenade en passant par une gloire du cinéma muet

Du "Café cantante" aux "Cuevas" du Sacromonte à Grenade en passant par une gloire du cinéma muet

Artistes et intellectuels andalous n’hésitent pas à puiser leur inspiration dans ce genre en même temps qu’ils tentent d’enrayer le mal. Manuel de Falla compose « La vida breve » ( La vie brève ) et « El amor brujo »(l’ amour sorcier) en 1905 et 1915. Les deux œuvres qui mêlent chant et danse se situent dans l’Andalousie gitane, et traitent de la passion amoureuse, de la mort, dans un contexte de traditions et superstitions .

L'arbre du flamenco répertorie  les divers genres du Flamenco qui inspirèrent Manuel de Falla
L'arbre du flamenco répertorie  les divers genres du Flamenco qui inspirèrent Manuel de Falla
L'arbre du flamenco répertorie  les divers genres du Flamenco qui inspirèrent Manuel de Falla

L'arbre du flamenco répertorie les divers genres du Flamenco qui inspirèrent Manuel de Falla

En 1921 Federico Garcia Lorca, qui avait été élève de Falla en piano, édite « Poemas del Cante Jondo » où il inventorie dans sa langue de poète chants gitans et paysages andalous. Des années plus tard, devenu en quelque sorte ambassadeur de la culture andalouse il explicitera le Cante Jondo : « El patetismo es la característica más fuerte de nuestro cante jondo que canta como un ruiseñor sin ojos, canta ciego y por eso tanto sus textos como sus melodías antiquísimas tienen su mejor escenario en la noche. Es un canto sin paisaje, concentrado en si mismo ; lanza sus flechas de oro que se clavan en nuestro corazón »  (le pathétisme est la plus forte caractéristique de notre chant profond qui chante comme un rossignol sans yeux, il chante aveugle, et c’est pourquoi tant ses paroles comme ses très vieillles mélodies trouvent dans la nuit leur meilleure scène.C’est un chant sans paysage, centré en lui-même ; il lance ses flèches d’or qui se fichent dans nos cœurs).

 En 1922 sous la double impulsion du compositeur et du poète a lieu le premier concours de Cante Jondo gagné par le légendaire Antonio Caracol pour avoir le mieux laissé s’exprimer le duende par sa voix.

Falla en concert , Lorca jeune poète, Caracol  "cantaor" lauréat du 1° concours de "Cante Jondo"Falla en concert , Lorca jeune poète, Caracol  "cantaor" lauréat du 1° concours de "Cante Jondo"Falla en concert , Lorca jeune poète, Caracol  "cantaor" lauréat du 1° concours de "Cante Jondo"

Falla en concert , Lorca jeune poète, Caracol "cantaor" lauréat du 1° concours de "Cante Jondo"

Dans les années troubles et mortifères qui précédèrent et suivirent la disparition des deux grands amoureux de l’Andalousie Gitane que furent Federico Gracia Lorca et Manuel de Falla, le feu flamenco couva sous les cendres . En Andalousie certaine famille gitanes le diffusèrent « pur », d’autres  lui préférèrent le « clientélisme » des fêtes populaires qui commençaient à éblouir les premiers touristes. En 1971 sous l’impulsion de Salvador Tavora  une véritable révolution culturelle intervient dans le monde du Flamenco. Son premier spectacle « Queijo » fait sortir le flamenco de ses archétypes. Salvador Tavora, né en 1930 dans un quartier populaire de Séville, nourri de musiques et danses gitanes  débarrasse le flamenco de ses scories folkloriques  et atteint dans cette première œuvre une symbolique universelle  expression de l’angoisse des hommes.  

La mémoire du flamenco a été entretenue par de grands cantaores comme Pepe de la Matrona ou Enrique Morente, d’incomparables bailaoras comme Carmen Amaya, des guitaristes exceptionnels comme Pedro Bacan ou Ramon Montoya. Les artistes se sont structurés et formés pour répondre à un niveau d’exigence international. Puisque le flamenco était désormais un spectacle, des troupes de « Ballet Espagnol » sont nées dont la plus célèbre fut celle d’Antonio Gadès.De nos jours Joaquin Cortés a brillamment pris la relève.

La créativité du genre est devenue flamboyante depuis les années de la « Movida » qui clos le XX°siècle en Espagne. Les figures de proue s’appellent Paco de Lucia ou Juan Carmona pour la guitare, ou Israel Galvan et Sara Baras pour le Baile, la danse. Le Flamenco rencontre le Jazz, le rock, la pop,  s’éclate en  Rumbitas gitanas  consommées par tous depuis des décades .

On peut dire que le flamenco touche tous les publics chacun pouvant y trouver l’écho de ses émotions, joie ou tristesse, exaltation ou méditation. Il reste  aussi une source toujours actuelle d’inspiration pour compositeurs, écrivains et peintres  et bien sûr chorégraphes…

Le "Cante Jondo" (Peintures de Carlos Pradal)
Le "Cante Jondo" (Peintures de Carlos Pradal)
Le "Cante Jondo" (Peintures de Carlos Pradal)

Le "Cante Jondo" (Peintures de Carlos Pradal)

Bibliographie non exhaustive :

 "Historia del cante Flamenco" Angel Alvarez Caballero

"Memoria del Flamenco" Felix Grande

Documentos de Radio Nacional de España

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M
Bonjour Montserrat,<br /> Aucun disfonctionnement pour l'instant ! <br /> <br /> Par ailleurs, vous devriez postuler chère Madame, pour un emploi d'archiviste aux seins des différentes villes dont vous brassez l’histoire - Vous faites un travail que peu de fonctionnaires en poste oseraient imaginer... Nous, Nous sommes sur le... <br /> Oui, je n'ai pas l'impression que vous vous rendiez compte ! LOL ! <br /> Tout comme moi, quoique différentes, vos passions vous rongent surement, tout vous maintenant au sommet... <br /> Nous ? Nous vous aimons ! C'est simple. <br /> Et encore BRAVO !
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M
Votre commentaire élogieux me touche d'autant plus que vous êtes sensibles à l'engagement qui est le mien pour les thèmes que je développe sur mon blog. J'espère pouvoir continuer longtemps à vous intéresser et à trouver en moi le goût qui guide mes recherches.
F
Article fouillé , complet et précis sur le peuple gitan , le flamenco faisant partie de son adn .J'ai découvert le terme "pathétisme " emprunté a Lorca , très signifiant en effet , notamment a travers les chants . <br /> Un très beau travail , félicitations Montse
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M
Merci pour ton commentaire France. Je suis heureuse d'avoir pu partager cet article malgré de petits dysfonctionnement et lire un retour qui m'encourage à continuer l'exploration de mes racines culturelles et à les faire connaître.