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Une autre enfance aux Minimes

 Il y a quelques temps j’ai pu rencontrer Gilbert qui lui aussi a passé son enfance dans le quartier toulousain des Minimes. Il avait lu l’article paru sur mon blog (http://www.monsetta.com/article-promenade-aux-minimes-56025982.html ) et souhaitait confronter nos souvenirs.

 

Gilbert et sa petite soeur

 

Mon enfance de fille de réfugiés espagnols née à l’exil est sans commune mesure avec celle de Gilbert. Certes la misère pécuniaire était là, les contrôles policiers musclés qui valurent à ma mère une fausse couche, étaient toujours  craints,  mais pauvreté et peurs n’étaient rien à côté de celles que connut le petit garçon qui vivait au 1° étage de notre immeuble vétuste : la « Caserne ». Depuis mon 3° étage j’ignorais tout du monde d’en-bas et du garçonnet dont je  ne soupçonnais même pas l’existence. Il est vrai que l’accès aux étages se faisait pour le premier avenue Maignan et pour les autres, avenue des Minimes. Nous ne pouvions donc pas nous rencontrer dans les escaliers !

 

 

Gilbert est resté 3 ans à la Caserne dans les années 50. Il vivait, avec sa jeune demi-sœur, chez le concubin de sa mère qui lui-même vivait chez ses parents et leur fils bossu « Mimiche ». Ces  6 personnes cohabitaient  dans deux pièces dont l’une minuscule et aveugle, et l’autre éclairée par une seule fenêtre. Il n’y avait pas d’eau, ni  de chauffage, seul le poêle à bois et charbon servait pour la cuisine et pour chauffer quelque peu les deux pièces en hiver. Le père avait choisi de s’installer et dormir dans un réduit délabré  de la cour de l’immeuble où il entassait ses trouvailles de chiffonnier. C’était un « peillerot »  qui parcourait les rues avec sa remorque à la recherche d’objets au rebut et de peaux de lapins… Il déambulait en criant bien fort « peillerot » pour avertir les ménagères de son passage. Lorsque les enfants étaient à la maison c’était le moment que choisissaient les mères pour se faire obéir en menaçant leur progéniture de les vendre au « peillerot » !

 

Le Peillerot

 

Dans la famille de Gilbert  l’argent était d’autant plus rare que père et fils gagnaient une misère et s’adonnaient à la boisson, en particulier Mimiche. Ce dernier quand il était ivre devenait violent  si bien qu’à 10 ans Gilbert l’avait désarmé par deux fois alors qu’il menaçait l’ami de sa mère d’un couteau et plus tard d’un fusil de chasse…Les fins de journées étaient le plus souvent violentes dans la famille du chiffonnier. Fuyant les coups et les cris Gilbert s’esquivait . Il allait dormir au bord du canal en été, à une encablure des rails de chemin de fer, sous le pont des Minimes. En hiver il trouvait refuge sous les tribunes du stade des Minimes. Je comprends mieux maintenant pourquoi ma mère me gardait jalousement au 3° étage et m’interdisait d’aller à la découverte du 1° ! Malgré la présence avinée  d’un ancien combattant de 14-18 je grandissais dans un cocon fait de l’amour protecteur de mes parents et de la sympathie de mes voisins.

 

Gilbert ne bénéficiait ni de l’un ni de l’autre. Lorsqu’en fin de mois sa mère à court d’argent l’envoyait faire les courses, il revenait bredouille après s’être fait rabrouer par l’épicier ou le légumier : « On te servira quand ta mère aura payé ce qu’elle doit ». Alors, le soir , c’était une soupe au lait coupé d’eau où flottaient des croûtons qui tenait lieu de repas. Au matin, le ventre creux, Gilbert allait quémander quelques croûtes de gruyère que lui gardait une brave épicière de la rue Condeau. De temps à autre il ramassait des chewing-gum par terre, les lavait et les mâchait en se rendant à l’école pour faire comme les autres écoliers.

Des années plus tard il a retrouvé dans les archives de la Protection de l’Enfance et de l’Adolescence de Toulouse, l’appréciation du Directeur de l’école Fermat qu’il fréquentait : « Gilbert est très turbulent, niveau intellectuel très moyen et ne travaille pas. Régulier en classe mais indiscipliné, quoique sans mauvaises intentions. Très mal vêtu et désordonné ». Les services sociaux s’étaient alarmés ce qui valut à Gilbert d’être retiré à sa mère par trois fois et d’avoir séjourné dans les centres pour enfants de Tournay (65)  Saint- Clar (32)   et Andernos (33). Ces mêmes services lui fournissait annuellement un pantalon « golf », une chemise, un pull, un blouson, une paire de chaussures ferrées à prendre au dispensaire de la rue du Taur.

Relais de Tournay, Eglise des Minimes
Relais de Tournay, Eglise des Minimes

Relais de Tournay, Eglise des Minimes

S’extrayant quand et comme il pouvait  de sa  cellule familiale  Gilbert fit sa première communion à l’église des Minimes, devint enfant de cœur l’espace d’un jour et fréquenta assidûment la salle du « patronage » de la paroisse. Il  menait avec ses copains la vie des gamins du quartier en quête d’aubaine, toujours prêts à profiter d’un spectacle comme les projections gratuites et en plein air de vieux films de Charlot  ou de Laurel et Hardy.

Charlot, Laurel et Hardy, Cirque
Charlot, Laurel et Hardy, Cirque
Charlot, Laurel et Hardy, Cirque

Charlot, Laurel et Hardy, Cirque

Les plus audacieux n’hésitaient pas à grimper le long des tuyaux d’écoulement des eaux de pluie des Douches Municipales pour  voir en clandestins, acrobaties et facéties proposées par de petits cirques au Marché aux Cochons. Gilbert bénéficiait en outre de la mansuétude du gardien du Stade des Minimes, le stade Arnauné, siège du Toulouse Olympique XIII, et pouvait assister sans bourse délier aux matchs de rugby . De là naquit sa passion pour ce sport qui l’amena des années plus tard à endosser le maillot.

 

Toulouse Olympique XIII (1954)

 

Juste sous l’appartement de Gilbert se trouvait la Cave des Minimes, ouverte jusque tard dans la nuit et toujours fréquentée par les habitués du « petit rouge »  servi au comptoir ou sur des vieux tonneaux faisant office de tables. Se faufilant entre les buveurs les ménagères y achetaient leur litre quotidien tiré à même le tonneau. Gilbert se rappelle comment le tenancier avait aménagé un terrain de pétanque entre deux files de fûts. Il s’y disputait de joyeuses parties avec comme gain un apéritif gratuit ! L’ambiance était celle des tavernes du XIX° siècle, ouvriers plus ou moins débraillés, grandes gueules, local obscur et enfumé, sol en terre battu, odeurs  fortes, la vinasse se mêlant aux relents de crabes pendus dans des filets en attendant d’être dégustés . Gilbert connaissait bien ce monde car c’est là qu’il allait chercher Mimiche totalement saoul. 

 

Bien que séparés de la ville par le canal du Midi  les marchants ambulants n’hésitaient pas à passer le pont pour venir vendre leur marchandise. Gilbert regardait toujours avec plaisir quand il la croisait sur l’avenue, une petite dame portant coiffe et tablier blanc et qui  tirait une carriole à brancards où était exposée sa marchandise : du millas ! Gilbert  se plaisait à imaginer le goût des petits rectangles de pâte de maïs.  Les déguster tenait d’un rêve impossible… Tout comme l’était connaître l’odyssée militaire de ces soldats blessés rentrés d’Indochine après Dien Bien Phu qui vers midi descendait l’avenue en jouant de la musique. Des fenêtres tombaient quelques pièces charitables que les moins estropiés ramassaient.

Carrés frits de millas

 

Les souvenirs d’enfance de Gilbert ont rafraîchi les miens les rendant plus vivaces. Sa vie aussi longue que la mienne m’a paru exemplaire par la résilience dont il a su faire preuve et qui lui a permis de réaliser sa vie d’adulte sans rancoeur ni amertume. Je ne peux que me réjouir d’avoir rencontré un « Petit Chose » devenu grand, sage et heureux, père et grand-père comblé. 

 

 

(Images du net et personnelles)

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Un grand merci vous accompagne pour nous faire partager ces lumières de vie, humbles, modestes et douloureuses qui brillent par leur humanité.<br /> Je vous embrasse de tout coeur.<br /> Hélène
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