Je transcris aujourd’hui l’essentiel de la dernière conférence que je donnais au Casal Català ce mois de Mai. J’y parlais pédagogie et évoquait un pédagogue catalan, Francesc Ferrer bien oublié de nos jours … Son buste en bronze rapporté au Casal pour identification a été l’occasion de rappeler les balbutiements de la pédagogie moderne…
Les temps modernes et les fondateurs de la Nouvelle Pédagogie
De même que le XVIII°siècle était pour les élites celui des Lumières, de la recherche de la connaissance, de la liberté et de la tolérance, le XIXe est celui des idéaux de solidarité et de justice sociale. Alimentés par les courants de pensée progressistes, Utopies et Révolutions le traversent . Les luttes sociales sont à l’ordre du jour, la critique des classes dominantes aussi. L'aspiration à la dignité humaine, la fraternité et l'égalité rendent obsolète la pédagogie en cours dans les écoles confessionnelles ou non.
Le temps est venu de voir apparaître l’idée d’une Éducation Nouvelle pour un monde futur. L'Éducation Nouvelle telle que vont la penser et réaliser les pédagogues modernes s'inspire d'une longue tradition de pédagogues issue des humanistes de la Renaissance qui déjà estimaient que « l'enfant n'est pas un vase qu'on remplit mais un feu qu'on allume ».
L’Éducation Nouvelle est aussi influencée par les théories de Rousseau, théories qui furent mises en pratique par le suisse Pestalozzi au début du XIX° siècle. L’enfance y devient un enjeu politique non négligeable, un gage de société à venir, le creuset des générations futures. On sait désormais ce que peut faire l’éducation. La fin du XIX°siècle et le début du XX° verront surgir de multiples « écoles nouvelles » comme les écoles de Maria Montessori qui voudront en finir avec un système éducatif institutionnel peu enclin à se rénover et essentiellement assuré par les écoles confessionnelles dépendant de Congrégations religieuses. Celles-ci n’ont pas été créées par voie hiérarchique mais fondées par des personnalités singulières qui, à la lumière de leur Foi, ont considéré qu’elles devaient apporter une réponse à des besoins éducatifs non satisfaits de leur temps. Elles sont nées d’une initiative prise au service de l’Église et de la société. Les fondateurs ont suscité des vocations venues les rejoindre pour les épauler, partager, prolonger ou dépasser leur action.
En Espagne que trouve-t-on à la fin du XIX° siècle ?
· 10 millions d’illettrés sur une population d’une vingtaine de millions de personne
· 24 000 écoles d’état défectueuses, sans lumière et sans ventilation… 50 000 enfants mourant chaque année de maladies contractées à l’école. 480 000 enfants errant dans les rues.
· Ecoles sans sanitaires, sans fenêtres, sans eau , sol de terre battue…Moins d’un mètre cube d’air par enfant dans les salles de classe. Il y a même des écoles qui servent de prisons de village, d’autres qui sont contiguës à l’hôpital et reçoivent l’air directement des chambres des malades…
Animé par sa foi en une éducation nouvelle Francesc Ferrer i Guàrdia fonde en 1901 l’Ecole Moderne pour mettre en œuvre un projet éducatif qui promeut la transmission d’un savoir laïque rationnel, c’est-à dire fondé sur la raison et la science, l’égalité sociale, la mixité, l’autonomie et l’entraide. Elle est la première d'un réseau qui en comptera plus d'une centaine en Espagne en 1907. Elle inspirera les modern schools américaines et les nouveaux courants pédagogiques.
Et en France ?
Après la première guerre mondiale Célestin Freinet , un instituteur, révolutionne la pédagogie de l’école primaire. Son nom , qui est aussi celui de son mouvement, le « Mouvement Freinet », est connu en Europe bien sûr, mais aussi en Amérique centrale et latine, en Afrique, au Moyen et Extrême Orient. En 1924, Freinet et son mouvement proposent une véritable refondation de l’école. L’école est laïque, les classes mixtes. L’école est un laboratoire de savoirs où les élèves cherchent à comprendre le monde. On y écrit des journaux, des textes libres, on y correspond, avec une ou plusieurs classes plus ou moins lointaines, seul ou en groupe, on en sort pour des enquêtes, des visites, des travaux guidés dans des institutions, des usines, on y organise des voyages à la rencontre des correspondants… Il va sans dire que cette pédagogie heurte les tenants de l’école traditionnelle. Les maîtres de l’Éducation Nouvelle inspirent la suspicion et n’exercent que dans le cadre d’écoles expérimentales, subventionnées par les parents.
Aujourd’hui le mouvement Freinet est toujours considéré comme le précurseur de la pédagogie moderne en vigueur dans des classes expérimentales de la pédagogie active mais son inventeur , théoricien et praticien est bien Francesc Ferrer i Guàrdia que l’on peut définir par les mots : pédagogue, libre-penseur, républicain, franc-maçon et anarchiste.
FRANCISCO FERRER Y GUARDIA est né le 10 janvier 1859 à Alella, une petite ville près de Barcelone, le treizième des quatorze enfants d'agriculteurs catholiques et monarchistes. A 14 ans, il est placé chez un patron de Barcelone. Ce dernier, républicain, libre-penseur et franc-maçon encourage le jeune Francisco Ferrer à lire et étudier. Le jeune homme se passionne alors pour les écrits socialistes et anarchistes.
En 1884, il est initié dans la loge maçonnique "Verdad" (Vérité). Il n’a que 25 ans mais ses prédispositions intellectuelles et humanistes en font un bon élément. L'échec du coup d'État républicain du général Vilacampa en 1886 contraint Francesco Ferrer à s'exiler à Paris où il s'affilie à la loge «Les vrais experts» du Grand Orient de France et participe deux ans plus tard au Congrès Libre-Penseur à Madrid. Son séjour lui fait connaître les lois de la République qui révolutionnent l’enseignement en France , rendant l’éducation primaire obligatoire et gratuite de 6 à 13 ans.
C'est à cette époque que Francisco Ferrer devient anarchiste . Revenu à Barcelone il crée, en 1901, «la Escuela Moderna» (l'Ecole Moderne) alternative au modèle national contrôlé par l'Église catholique.
Francisco Ferrer résume ainsi son projet : « Fonder des écoles nouvelles où seront appliqués directement des principes répondant à l'idéal que se font de la société et des Hommes, ceux qui réprouvent les conventions, les préjugés, les cruautés, les fourberies et les mensonges sur lesquels est basée la société moderne. »
Il écrit : « Mon plan est que l’école moderne soit mixte. Pendant le jour, l’école sert aux enfants ; le soir, elle sera ouverte aux adultes. Il y aura des cours de français, d’anglais, d’allemand, de sténographie et de comptabilité. En même temps, on y donnera des conférences, on y trouvera un local à disposition de groupements d’ouvriers, qui ne s’occuperont pas de politique, mais travailleront à obtenir leur complète émancipation. Je voudrais aussi publier un journal de l’école qui s’imprimerait dans ce local. Ce que j’ai l’intention de réaliser est si éloigné de ce qu’on a fait jusqu’ici que, s’il n’existe pas de méthodes acceptables, on les créera exprès. »
Et c’est ainsi que Ferrer crée l’École Normale Rationaliste qu’il place sous la direction de maîtres expérimentés et de professeurs qui adhèrent aux idées de l’École Moderne et à sa pédagogie active.
Il précise « Dans cette école il ne faudra glorifier ni dieu, ni patrie, ni rien... Il faut veiller à extirper du cerveau des hommes tout ce qui les divise, en le remplaçant par la fraternité et la solidarité indispensables à la liberté et au bien être pour tous. Il s’agit avant tout de « parvenir à l’émancipation humaine par l’éducation, rien que par l’éducation »
Toute éducation passe par le jeu. Qu’il soit physique ou intellectuel, celui-ci permet à l’enfant de manifester ses désirs et de s’y confronter. Il appartient à l’éducateur de bien diriger le jeu et à l’enfant d’y être attentif. C’est alors, selon Ferrer, que la conception religieuse affirmant que la vie est une croix à porter disparaît au profit de celle que la vie mérite d’être vécue et qu’il faut savoir en jouir. Libéré de ce poids, l’enfant peut se livrer à ses jeux, permettant ainsi à l’éducateur qui l’observe de mieux connaître son caractère.
Le Maître de l’École Nouvelle se doit de favoriser et de diriger les aptitudes propres à chaque enfant, de telle façon qu’il devienne non seulement un membre utile à la société mais aussi qu’il soit en mesure d’élever la collectivité. Pour Ferrer: « Il n’y a pas de droits sans devoirs ».
( à suivre....)